[Live Report] New Model Army au Trabendo (Paris) : oh, j’aime le monde !

Trois heures durant, hier soir au Trabendo, Justin Sullivan et sa New Model Army nous ont rappelé combien ils sont un groupe important, même si œuvrant depuis 40 ans loin des lumières de la popularité. Et combien ils portent brillamment, en 2022, en ces temps de guerre et d’extrémisme populiste, la parole de la raison et de l’humanisme.

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New Model Army au Trabendo – photo : Robert Gil

On fête – à deux ans près, le Covid étant passé par là – les 40 ans de ce groupe atypique, extraordinaire qu’est New Model Army. 40 ans qui sont passés comme un rêve, avec une succession d’albums toujours réussis, qui n’ont jamais trahi les idéaux humanistes / punks de Justin Sullivan. Et une succession de concerts toujours impeccables, portés par la foi du groupe en une sorte de justice rock qui finirait par triompher et justifier les efforts des rebelles les plus persévérants. Avec, pour acheter les disques et pogoter devant la scène, une troupe de fans inconditionnels, qui ont vieilli (un peu) avec le groupe mais gardé une foi intacte. Des gens qu’on retrouve systématiquement à chaque passage de NMA et dont la fidélité porte régulièrement le groupe à l’excellence. Ce soir, début du set annoncé tôt, à 19h30 sans première partie, histoire de laisser aux hommes de Justin la possibilité de jouer tranquillement les 3 heures plus ou moins promises.

2022 11 10 New Model Army Trabendo RGJustin démarre le premier set de la soirée en solo acoustique : Family Life met d’emblée les curseurs dans le rouge au niveau émotionnel, et souligne que le formidable album de 1986, Thunder and Consolation, sera particulièrement à l’honneur ce soir, même si la setlist, show d’anniversaire l’exigeant, ira piocher un peu partout parmi les 250 chansons (c’est Justin qui le dira) des 15 albums du groupe. Justin sera progressivement rejoint par les trois autres membres du groupe : New Model Army opère en quatuor sur cette tournée, sans le second guitariste Marshall Gill, ce qui confère à leur son une plus grande légèreté, et également une finesse musicale bienvenue. Sans perdre de la dureté ni de l’intensité, on a l’impression d’une plus grande subtilité, en particulier dans l’impressionnant jeu de batterie de Michael Dean, qui met mieux encore en valeur les chansons, régulièrement réinventées par rapport à leurs versions originales.

Dès le troisième titre, Snelsmore Wood, on a les larmes aux yeux tellement c’est beau, tellement c’est intense. Bad Old World est la première occasion de chanter tous en chœur un refrain allègre et vindicatif – donc typique de NMA – et une ineffable sensation de bonheur nous envahit : « I’m never going back there / I’m never going back to the bad old world » (Je n’y retournerai jamais / Je ne retournerai jamais dans l’ancien monde mauvais), et on se dit que ce titre qui a plus de vingt ans était formidablement en avance, quand on pense à tous les réactionnaires actuels qui nous répètent que, avant #MeToo, avant l’immigration, etc. c’était mieux, le « good old world »… Frightened, extrait du tout premier album, nous est présenté comme un vieux morceau datant d’une époque où nous étions encore innocents, et accélère le rythme, débouchant sur un Red Earth inspiré d’un voyage en Afrique du Sud et d’un marimba acheté là-bas pour un dollar : percussions tribales (Ceri Monger passe derrière des fûts installés à droite), chant à la fois mystique et menaçant, et final frénétique… un très beau morceau pour clôturer le premier set, « petit plat en attendant le repas, comme en France » nous avait annoncé Justin dans un très bon français (plus tard il s’excusera pour, dit-il, faire comme tous les Anglais, retourner à sa langue maternelle au bout de 10 minutes) : 50 minutes quand même, pas loin de la perfection, 50 minutes qui feraient rêver par leur force et leur beauté bien des groupes.

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15 minutes de pause… Et le second set va être différent, plus électrique, plus violent, mais peut-être moins émotionnel, moins bouleversant aussi. Mais bon, on va avoir droit à la plupart des brûlots ultra-populaires auprès de la (New Model) armée de fans : des tueries comme Vagabonds, dans une version bien loin de ses racines folk celtes, ou The Charge, et encore The Hunt, qui sont attendues de pied ferme pour entamer des danses frénétiques dans la fosse… et personne ne sera déçu ! Pour nous, ce sera la très inspirée, très intense version de Here Comes the War, avec sa référence évidente à l’Ukraine, qui nous fera frissonner le plus : « Here comes the war / Put out the lights on the Age of Reason » (Voici la guerre / Éteignez les lumières de l’âge de raison !), que dire de plus ?

2022 11 10 New Model Army Trabendo RGLe public, d’âge moyen et largement féminin, est comme prévu, très turbulent, et le groupe doit se battre contre l’envahissement de la scène par des verres de bière qui menacent de se renverser sur les pédaliers et les câbles. Mais tout cela restera toujours bon enfant – New Model Army joue une musique d’amour, non ? – et on regrettera même l’absence des traditionnels fans anglais (la faute au Brexit, que Sullivan exècre et vomit ?) et leurs habituelles pyramides humaines, fort réjouissantes.

Les textes de Sullivan que le public connaît quasiment tous par cœur, sont clairement l’un des points forts du groupe, mais il ne faut pas oublier que, au-delà de ce mélange improbable de punk rock, de folk, de metal, le groupe est responsable d’une bonne dizaine de très grandes chansons, qui sont à la fois des « hymnes » que l’on reprendra en chœur, le poing ou les bras dressé(s) suivant ses convictions, et de superbes mélodies qui mettent clairement les larmes aux yeux. Et le rappel, alors que Justin, en plaisantant (oui, mais… ?) a dit regretter d’avoir promis qu’ils joueraient trois heures, enchaînant 51st State et I Love the World, confirme que New Model Army avait indiscutablement les munitions nécessaires pour rencontrer un large succès. Et des phrases comme « And as the waters rise, it seems we cling to all the rootless things / The Christian lies, technology, while spirits scream and sing / Oh God I love the world » (Et à mesure que les eaux montent, il semble que nous nous accrochions à toutes ces choses qui n’ont pas de racines / Le chrétien ment, la technologie, tandis que les esprits crient et chantent / Oh Dieu j’aime le monde ! » sont sans doute le meilleur épilogue possible à ce voyage épique à travers les horreurs et les beautés de l’humanité.

En sortant de ces presque trois heures de ce qui est finalement devenu du « rock classique », on ne peut que se demander pourquoi New Model Army ne remplit pas un Zénith, voire un Bercy, tant leur musique est accrocheuse, profondément populaire, conjuguant de manière rare l’universel – cette forte vision politique et morale du monde – et l’intime – les doutes et les tourments de Justin Sullivan. Un ami nous donnera la meilleure réponse qui soit : « Réjouissons-nous plutôt de ne les avoir que pour nous ! ». Oui, mais quand même…

Texte : Eric Debarnot
Photo : Robert Gil

5 thoughts on “[Live Report] New Model Army au Trabendo (Paris) : oh, j’aime le monde !

  1. Bonsoir,

    Désolé de vous contredire mais ce groupe n’a pas joué trois heures comme vous l’écrivez mais très exactement 2h30 ce qui n’est quand même pas pareil et dénote un manque de rigueur incompréhensible et récurrent de certains commentateurs, rock critiques ou de bloggeurs. Cela ne me parait quand même pas compliqué de chronométrer correctement un spectacle quel qu’il soit !

    1. Bonjour

      NMA ont commencé à jouer à 19h34 à ma montre, et le concert s’est terminé à 22h30. Considérant qu’il y a eu un peu plus de 15 minutes d’entracte et une petite attente avant le rappel, je mettrais plutôt la marque à 2h35-2h40. Mais est-ce vraiment important ? Les trois heures que j’ai eu le malheur de citer et qui ont provoqué votre courroux sont la durée annoncée à l’avance et que tous les fans avaient en tête, et ont été rappelées par Justin lui-même à la fin du set, comme un promesse qu’il regrettait du fait de sa fatigue. J’espère surtout que vous avez apprécié le concert autant que nous.

      Bien cordialement

      1. Je vous rassure je ne suis pas fâché mais je constate régulièrement que de nombreuses personnes se trompent sur les durées des concerts.
        Quand il y a un écart de 5 à 10 minutes je passe encore mais certaines fois c’est beaucoup plus que ça ! En admettant une petite marge d’erreur de ma part (ce qui peut tout à fait m’arriver) celui-ci était de loin (20 ou 25 minutes environ) inférieur à 3 heures. Là j’en suis certain. D’autant plus que je tenais à vérifier si la durée annoncée serait tenue. Qu’elle ne le soit pas tout à fait pour x raison ne me dérange pas mais 2h35 ou 2h40 factuellement ce n’est pas 3 heures ! .
        Cordialement.

  2. Merci Eric Debarnot pour cette belle chronique qui revient sur le statut très particulier de ce groupe très peu médiatisé en France: on ne le voit pas à la télé, on ne l’entend (presque) jamais à la radio, Un groupe qui avec la qualité constante de ses paroles, mélodies, albums et concerts aurait dû/pu connaitre le succès commercial massif de U2 (enfin, le U2 des débuts..) et de The Clash auxquels il a parfois été comparé à ses débuts, mais qui a dû injustement se « contenter » d’un culte confidentiel mais durable. Je n’étais pas présent hélas au Trabendo mais le concert de la veille au Big Band Café d’Hérouville Saint Clair était déjà remarquable, Michael Dean impressionnant à la batterie en effet et Justin Sullivan égal à lui-même, à la passion et l’engagement admirables depuis 1980. Je ne sais pas si les albums solo de Sullivan et de NMA sont chroniqués sur votre site mais il faut recommander chaudement « Thunder and consolation », « Navigating by the stars », « Surrounded », « The ghost of Cain » « High », « Between dog and wolf »,,,entre autres!

    1. Merci à toi, Paul, pour ce commentaire plein de passion sur un groupe important, l’un de ces groupes qui fondent notre amour pour la musique, et à côté duquel le grand public sera passé? Et passera sans doute toujours.

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