Ce jeudi, notre chronique Tiens écoute ça ! parle de la version de I Fought The Law que nous ont offerte The Clash en 1979, deux minutes trente neuf secondes de rébellion indomptable.

Même les gens qui ne sont pas punks dans l’âme sont pour la plupart unanimes pour classer The Clash parmi les plus grands de l’histoire du Rock (pour les autres, il n’y a pas grand chose à faire pour les sauver !). Plus intéressant est de demander à ces convaincus quelle est leur chanson préférée du groupe : on peut prédire que la vaste majorité choisira London Calling, véritable hymne ouvrant l’album éponyme, lui-même classé parmi les disques incontournables du XXème siècle. Pour moi, qui eut la chance de suivre The Clash depuis leurs tous débuts, au cœur de l’explosion punk de 1977, mon titre préféré, qui est aussi celui qui représente le mieux à mon sens et leur esprit « rebelle » (politique sans être dogmatique, tout en restant… « poétique », inspirant) et leur style musical (cette classe folle, aussi bien dans leur allure que dans la manière dont ils interprétaient leur chansons) est I Fought The Law. Une chanson qui, ironiquement, n’est pourtant « qu’une reprise »…
Car I Fought the Law est née vingt ans exactement avant que The Clash ne la reprennent : en 1958, sous la plume de Sonny Curtis, membre de The Crickets. La chanson évoque le destin d’un homme qui a défié la loi et a perdu – une formule simple et poignante, presque tragique dans son inévitable fatalité. Sortie en 1960, elle passe inaperçue, jusqu’à ce qu’elle soit reprise par les Bobby Fuller Four en novembre 1965 : une interprétation légère, presque joyeuse, en dépit d’une légère amertume dans sa clarté pop-rock. Ironie du sort, Bobby Fuller mourra dans des circonstances mystérieuses peu après le succès du morceau – renforçant l’aura quasi mythique de cette chanson, que beaucoup commenceront à considérer comme maudite.
Fin 1978, alors que le mouvement punk britannique a triomphé, et qu’il commence (déjà) à donner des signes d’essoufflement, The Clash reprennent I Fought the Law, la réinventent radicalement, et la transforment en une véritable déclaration de guerre. Elle n’est diffusée à l’origine que sur un EP aux USA (The Cost of Living), mais elle devient vite l’un des grands hymnes punk de sa génération.
Avec une production brute, avec la guitare de Mick Jones qui tranche dans le vif, avec la batterie qui claque comme une porte de cellule se refermant sur le perdant magnifique dont parle la chanson, on est loin du ton pop des sixties : bienvenue à l’urgence ! Mais c’est, plus que quoi que ce soit d’autre dans cette version, le chant de Joe Strummer qui lui insuffle une intensité quasi révolutionnaire. Chaque fois qu’il répète la phrase « I fought the law and the law won« , il s’agit d’une provocation crachée en pleine face du système. Il ne s’agit pas de reprendre une vieille histoire romantique de hors-la-loi « à l’américaine », mais bien de vivre une révolte qui doit embraser les cœurs de la jeunesse britannique déclassée, affrontant non seulement le chômage mais la montée de l’extrême droite… Une jeunesse pour qui « la loi » ne semble pas exister, remplacée qu’elle est par des forces d’oppression : la police anti-émeutes brutale, la censure totale dans les médias, le racisme institutionnel de la société…
I Fought The Law, chez The Clash, devient une attaque sonore frontale, bénéficiant d’une production abrasive et « près de l’os » : brute, nerveuse, la guitare introduit le motif principal sans aucune fioriture, dans un son distordu typique. La frappe sèches de Topper Headon sur sa caisse claire rappelle la rigueur des tambours de marche militaire, en un écho ironique à l’autorité qu’il s’agit, encore et toujours, de défier. La basse de Paul Simonon est placée en avant, rugueuse, elle fait avancer le morceau comme un bulldozer. Le chant de Strummer est une accusation coléreuse, mais le fait qu’il s’agisse d’une constatation objective – un tantinet ironique, en fait – de sa situation par celui qui a « perdu » ne l’empêche pas de continuer à se battre.
Si le génie de The Clash me semble plus visible, plus clair, plus tangible sur cette reprise que dans leurs autres « hymnes », c’est qu’ils ne modifient aucun mot du texte original, mais changent tout par leur ton, leur rage contenue, leur esthétique sonore. Il ne s’agit pas de chanter la révolte, il s’agit de l’incarner.
Plus tard, des groupes comme Rancid ou Green Day, et même des artistes bien éloignés du punk, s’en inspireront. I Fought The Law apparaîtra dans des films, dans des spots publicitaires, dans des séries, preuve de son passage dans la culture mainstream… mais gardera toujours quelque chose de sale, de dangereux. Un graffiti tagué sur le mur du commissariat.
Eric Debarnot
The Clash – I Fought The Law – les paroles :
Breakin’ rocks in the hot sun
I fought the law and’a the law won (x2)
I needed money ’cause I had none
I fought the law and’a the law won (x2)
(Je casse des pierres sous le soleil brûlant / J’ai combattu la loi et la loi a gagné / J’avais besoin d’argent parce que je n’en avais pas)
[Chorus]
I left my baby and it feels so bad
I guess my race is run
She’s the best girl that I ever had
I fought the law and’a the law won
I fought the law and’a
(J’ai quitté mon amour et je me sens si mal / Je suppose que ma course est terminée / C’est la meilleure fille que j’aie jamais eue / J’ai combattu la loi et la loi a gagné)
Robbin’ people with a six-gun
I fought the law and’a the law won (x2)
I lost my girl and I lost my fun
I fought the law and’a the law won (x2)
(J’ai volé des gens avec un revolver à six coups / J’ai combattu la loi et la loi a gagné / J’ai perdu mon amour et j’ai perdu ma joie de vivre)
[Chorus]
[Outro]
I fought the law and’a the law won (x8)
Bonne chronique de cette reprise que s’est bien réappropriée le groupe londonien et qui aurait tout à fait pu être une de leurs propres compositions tant la musique et les paroles leur correspondent bien ! Par contre deux petites précisions : la première parution de la version de Bobby Fuller Five n’est pas apparue en 1966 (là c’était en Angleterre) mais en novembre 1965 aux States. La seconde : à ma connaissance mais je peux me tromper, la première publication du E.P. « The cost of living » n’a pas été une sortie promotionnelle aux Etats-Unis avant celle officielle en Angleterre en mai 1979. Très bonne initiative que d’avoir traduit les paroles de ce titre.
Enfin pour terminer je pense aussi que The Clash ou Le Clash et pas les Clash comme je lis souvent dans des articles même spécialisés en musique (!) était un des meilleurs punk bands voire le meilleur et aussi un très grand groupe de rock par la suite. En live leurs prestations étaient également incendiaires.
Je vais corriger ces deux erreurs, merci !