Victor Del Arbol décrit dans « Personne sur cette terre » la trajectoire d’un homme qui revient dans son village d’enfance en Galice en 2005, alors que trente années se sont écoulées. Un polar qui mélange habilement l’ambivalence des personnages et une intrigue très bien amenée.
Tout débute en 2005 lorsque l’inspecteur Julián Leal revient dans ce fameux village d’enfance en Galice. Il a été écarté il y a peu de la police après avoir frappé un entrepreneur qui s’est retrouvé dans le coma. Alors qu’il est en procès pour cet acte violent, il revient dans son village et fait remonter des souvenirs avec ses anciens amis, des souvenirs autour de sa maison d’enfance notamment, le lieu d’un drame en 1975 durant lequel il a perdu son père.
On sent tout de suite que chaque personnage que l’on va découvrir a un passé trouble et Julián Leal ne fait pas exception. Le policier qui traverse un procès suite à son acte lutte aussi contre un cancer agressif qu’il a découvert il y a peu. Le livre démarre avec ce personnage cabossé et on ne sait pas pourquoi il a agi avec cette violence envers l’entrepreneur, on ne sait pas non plus les raisons de son retour au village mais on image bien que les choses vont s’articuler progressivement.
Je découvre Victor Del Arbol avec son dernier roman noir et j’ai tout de suite été embarqué par l’auteur qui parvient à camper une atmosphère singulière dans « Personne sur cette terre ». Une atmosphère très sombre tout en accrochant le lecteur qui se pose des questions sur Julián Leal et les motivations derrière ses actes. Les autres personnages font leur apparition petit à petit. Un inconnu qui semble être un tueur à gages et qui agit dans l’ombre de l’inspecteur. Clara, l’amie de Julián qui est hospitalisée pour des addictions et qui est une ancienne journaliste ou encore un autre homme Restrepo, qui organise un sinistre business avec des enfants à destination de riches clients. Le polar peut alors se déployer, notamment avec des allers et retours dans le passé dans les années 70, pour comprendre les trajectoires de chacun et la violence qui guette à bien des endroits.
On apprécie les dialogues ou les réflexions des personnages au détour d’une scène, qui permettent de générer cette atmosphère particulière : « De temps en temps, tu fantasmais sûrement une autre vie, n’est-ce pas ? Tu regrettais tes décisions, te demandais quelle couleur auraient tels ou tels yeux sans le voile vitreux de l’alcool, à quoi pouvaient ressembler des mots doux au lit, quel effet produirait la caresse d’une main douce, sans les callosités causées par le travail. »
On chemine avec l’auteur et on sent que ça ne va pas bien finir, que les conclusions vont laisser des traces. L’intrigue n’est pas l’unique objet dans ce roman noir construit avec beaucoup d’ingéniosité, c’est aussi les sentiments qui traversent les personnages qui font tout le sel de cette histoire comme dans ce passage : « N’était cette inquiétude lancinante, ce sentiment de profonde défaite qui grandissait en lui, Julián aurait pu croire que tout finirait bien. » Les personnages tentent de composer avec leur passé, avec leurs traumatismes même si ces derniers sont invisibles : « — Il y a beaucoup de sortes de prisons. Certaines avec des barreaux, d’autres sans. Et de ces dernières, on ne s’évade pas. Elles sont ici, dit le vieillard en désignant son cœur, et c’est une peine à perpétuité. Il n’y a pas de juge plus implacable envers soi que soi-même. »
Personne sur cette terre est un polar d’une justesse rare sur la psyché des personnages avec des thèmes traités tout en nuance, que ce soit la vengeance, les violences envers les enfants ou l’ambivalence que l’on couve en chacun de nous. Un très beau roman noir, marquant.
Sébastien Paley