Respectivement Musicologue et spécialiste de Tintin, Jean-Jacques et Renaud Nattiez étudient les liens entre Hergé avec la musique et posent une question intrigante : Hergé était-il musicien ?

Il y a la bande dessinée franco-belge et il y a Tintin. Le petit reporter à la houppette bénéficie d’une aura particulière. N’est-il pas entré dans les musées ? Il affole les salles de ventes, il suscite des thèses de doctorat et une abondante littérature, plus de 500 ouvrages à ce jour.
Les auteurs débutent en inventoriant les nombreuses manifestations musicales présentes dans les albums. Hergé a souvent affirmé qu’il n’était pas musicien, qu’il n’y connaissait rien et que c’était un art qu’il ne comprenait pas. Or, ce n’est pas tout à fait exact. Sans être mélomane, il appréciait la musique sous toutes ses formes. Au fil des pages, il a inséré, toujours à bon escient, des extraits d’opéras et d’opérettes, de comptines enfantines ou de chansons de variétés qui l’avaient marqué.
Hergé à tout inventé. Selon la très belle expression de Pierre Assouline, il était « un fabricant de langages ». Ainsi, à l’aide du dessin et du lettrage, il a créé le langage de la bande dessinée. Il était inévitable qu’il tente d’y associer des notes de musique.
Ainsi, il donne une place de choix à L’Air des bijoux de Faust de Charles Gounod, qu’il place une quinzaine de fois, que ce soit dans la bouche de la Castafiore, à la radio ou repris par l’un des personnages :
« Ah ! Je ris de me voir
Si belle en ce miroir,
Est-ce toi, Marguerite,
Est-ce toi ? Réponds-moi… »
Comment éviter les répétitions ? Hergé va jouer avec les paroles et les notes. À défaut de placer de véritables extraits de partitions, il se fabrique un langage musical qu’il place dans les cases ou les phylactères. Il joue sur les blanches et les noires, les crochets et les hampes, qu’il tort au besoin. Soudain, la case s’anime, à défaut de chanter lui-même, le lecteur, manipulé par l’artiste, entend. L’illusion est parfaite.
Selon Mozart, la musique n’est que répétition et variation. Or, le génie est de trouver le bon dosage. Il en est de même avec une série de bande dessinée. L’auteur crée un univers clos dans lequel ses héros s’élancent, à chaque début d’album, à l’aventure. « L’œuvre d’Hergé est une succession de variations sur quelques thèmes dominants – énigme à résoudre, lutte contre le Mal, culte de l’amitié, etc. –, ce qui contribue fortement à la pérennité de l’œuvre. » Avouons que, à l’image des grands compositeurs, le père de Tintin a su trouver le dosage idéal.
Stéphane de Boysson
Hergé musicien ?
Auteurs : Jean-Jacques Nattiez, Renaud Nattiez
Éditeur : Les Presses de l’Université de Montréal
96 pages – 15 €
Parution : 22 mai 2025
Hergé musicien ? — Extrait
