Le groupe de Rhian Teasdale et Hester Chambers livre un second album qui honore le potentiel que son prédécesseur laissait entrevoir. Moisturizer confirme et prolonge l’identité singulière d’un projet que l’on retrouve avec un plaisir non dissimulé.

La perspective d’un nouvel album de Wet Leg est automatiquement porteuse de grandes attentes, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un second-né, rite de passage pouvant marquer une transformation d’essai, voire un manifeste d’intentions visant à orienter le cours d’une carrière. Le groupe formée autour de Rhian Teasdale et Hester Chambers, deux copines de l’université de musique de l’Île de Wight, avait justement été érigé en phénomène viral avant même la sortie de son premier album. La cause ? Chaise Longue, single pince-sans-rire et fier de l’être, suivi de Wet Dream, tout aussi meme-worthy. Deux chansons futées, contagieuses et décalées, qui avaient instantanément fait de Wet Leg une entité attachante pour un public avide de nouvelles voix et de fraîcheur musicale. L’album éponyme, sorti en 2022, avait conforté ce sentiment, doublé d’une impression de potentiel encore bien stocké, et susceptible de livrer de belles surprises dans un avenir que l’on espérait proche. Sur le plan des surprises, justement, ce nouveau cycle promotionnel a déjà été fertile. Si vous m’aviez demandé ce qui figurait sur ma carte bingo de 2025, je n’aurais pas cité la mutation de Rhian Teasdale, passée d’elfe pastoral en robe traditionnelle à frontwomen musculeuse, peroxydée des sourcils et sportive comme Iggy Pop. À l’inverse, sa comparse Hester a récemment déclaré souffrir d’une anxiété sociale grandissante, conduisant à son retrait des entretiens promotionnels, ainsi qu’à des concerts où elle joue dos au public. Elle apparaît également dans cette position sur la pochette de Moisturizer, comme un yin pour le yang de Teasdale, qui fixe le spectateur avec un rictus que l’on soupçonne cannibale.
CPR fait immédiatement apprécier la production, conférant à la section rythmique une rondeur qui caresse agréablement le fond des oreilles. Le phrasé de Rhian Teasdale, toujours aussi faussement nonchalant, sert efficacement de contrepoint aux guitares bourrines du refrain. Une esthétique filée par le single Catch These Fists, qui met les bouchées doubles sur la répétition des motifs, tandis que la batterie enclume les transitions avec de solides descentes de fûts, personnifiant l’invitation au pugilat formulée par le titre du morceau et les paroles de son refrain. Dans un registre plus sophistiqué, Liquidize prolonge ce que le premier album avait popularisé via un titre comme Wet Dream. Un tempo avoisinant les 130 bpm, pour une composition qui mélange accords de guitare classique, bourdonnements grungy et progression harmonique délicieusement pop. Sans doute moins connue dans nos contrées que dans son Londres natal, Davina McCall est une présentatrice de télé anglaise qui donne son nom à un chanson de ce nouvel album. Il s’agit probablement d’une des compositions les plus rusées du catalogue de Wet Leg, infectieuses en diable derrière la sobriété trompeuse des grilles d’accords. La pulsation vénéneuse des premières mesures de Jennifer’s Body laisse espérer une explosion qui survient plus graduellement qu’il n’y paraît. Si l’on apprécie la référence nominale au film mésestimé de Karyn Kusama, qui avait offert son plus grand rôle (le seul ?) à Megan Fox pour un brûlot pré-MeToo que les années ont permis de réévaluer au-delà de son horrible campagne marketing d’époque, il est dommage qu’elle ne soit pas explicité au-delà d’un simple name dropping dans le texte. Le petit précis illustré des contrastes en musique, établi par les Pixies et popularisé par Nirvana, semble avoir marqué l’esthétique sonore de Wet Leg, et l’on aurait naturellement envie de les entendre transposer cette éthique à l’alliage entre pop rock ludique et horreur féministe.
La rythmique de Mangetout revient une fois de plus à la cadence que le groupe semble affectionner depuis Wet Dream, mais l’exercice est à nouveau transcendé par l’irrévérence du texte, apposée à des mélodies entêtantes qui répondent fluidement aux guitares salies des refrains. Les synthés sont de sortie dès l’intro de Pond Song, où la basse se charge à nouveau de bétonner les couplets en prévision de l’électricité à venir. Lorsque le courant fuse, peu avant la seconde minute, la batterie est échauffée et tout roule parfaitement. On pourrait, une fois de plus, souligner que les riffs sont répétitifs, mais cela semble justement faire partie l’intention, et il y fort à parier que personne ne le reprocherait aux Hives. En revanche, si votre oreille désire davantage de sophistication, Pokemon saura vous combler, avec ses mélodies graciles sur un tempo qui sautille doucement derrière une mixture de guitares claires et de synthés que Mac DeMarco pourrait légitimement envier. La production de cette chanson capte Moisturizer sous son angle le plus minutieux, brodant le coton lo-fi et la soierie pop avec un naturel rafraîchissant.
À l’inverse, Pillow Talk est peut-être ce que Wet Leg a signé de plus brutal en deux albums, que ce soit dans ses paroles crues ou dans son esthétique sonore éminemment cathartique, démarrant quasiment comme chez Queens of the Stone Age pour ensuite exploser en gerbes stoogiennes où la fuzz enveloppe chaque note et coup de baguette. Don’t Speak reconduit le bpm autour de 130 pour une nouvelle tranche d’indie rock rusée, où la production rend le chant plus squelettique qu’à l’accoutumée, comme cerné par les guitares qui dictent la trajectoire de la composition. Toute cette joyeuse grisaille d’overdrive n’aurait pas laissé présager qu’une ballade serait tapie quelque part dans le programme, mais c’est bien de cela qu’il est question avec 11:21, où Teasdale fait montre d’une habileté dramatique qu’on ne lui aurait pas soupçonnée. Sa voix, qui gravit les hauteurs avec clarté, rappelle presque le phrasé de Lorde lorsqu’elle redescend vers les soubassements de son registre. Cette belle chanson aurait pu fournir une conclusion adéquate à Moisturizer, mais l’honneur échoit à U and Me at Home, cartouche finale qui éclate comme l’une composition les plus immédiatement mémorables de toute l’écoute, ce qui n’est pas peu dire.
Le tempo nous ramène aux alentours de ce 130 décidément très Wet Leggien, avec une nouvelle ligne de basse groovy et un refrain hymnique qui fera le plus grand bonheur de nombreux festivals estivaux. Le texte brosse le portrait d’un couple qui, après avoir écumé les quatre coins du monde, est de retour à la maison, à fumer un joint en attendant une livraison alimentaire. Une judicieuse coda, qui clôt Moisturizer en poussant à tout recommencer avec encore plus de désinvolture. On pourrait peut-être créer un groupe, comme un genre de blague. « Ça ne ne s’est pas tout à fait déroulé comme prévu », dis-je à la radio. À présent, nous nous sommes étirés de par le monde, à travers mer et terre, et ce grand élastique me ramène à toi quand je m’égare en chemin. Il est toujours touchant d’entendre un groupe prendre ses marques en même temps que son public. Il y a fort à parier que nous relancerons l’écoute de Moisturizer de plus en plus souvent, dans un avenir où la désinvolture est vouée à devenir une denrée rare.
Mattias Frances