Nouvelle série policière estampillée Netflix, Untamed nous plonge dans les profondeurs spectaculaires de Yosemite. Derrière le thriller convenu, transparaît un récit hanté par le deuil, la solitude et cette vieille illusion selon laquelle l’homme pourrait encore dominer la nature.

La scène d’ouverture d’Untamed, la dernière série policière à succès de la maison Netflix, est remarquable : deux alpinistes sont en train d’escalader une spectaculaire paroi montagneuse quand l’impensable se produit. Une fois remis de nos émotions, on découvre que l’action se déroule dans le parc national de Yosemite, dans la Sierra Nevada, en Californie. On réalise alors que, bien que les parcs nationaux US soient l’une des plus grandes richesses du pays – et l’une de ses premières destinations touristiques –, ils ont finalement été peu « exploités » comme décors à part entière dans les séries télé, ou même les films. Et c’est sans doute là la plus grande originalité – et la plus grande qualité – d’Untamed, une série policière par ailleurs un peu routinière, voire convenue.
En six épisodes (format qui semble indiquer que les showrunners US ont compris l’intelligence – et l’efficacité – des mini-séries à la britannique), Untamed déploie son intrigue au cœur de Yosemite, avec ses falaises monumentales, ses forêts silencieuses, ses lacs sombres. Ce décor, souvent magnifiquement filmé, n’est heureusement pas qu’une jolie carte postale. Il devient ici une entité propre, qui engloutit et transforme les êtres humains qui y vivent ou y travaillent, les confronte à ce qu’ils refusent de regarder en face. Pour apprécier pleinement Untamed, il faut dépasser l’enquête policière « standard » et se concentrer sur ce que la série dit en creux.
Eric Bana (un revenant ! et d’ailleurs plus convaincant ici qu’à l’époque de sa gloire) incarne un enquêteur du Service des parcs nationaux rongé par un drame familial qu’on devine avant même qu’il n’en parle. Chargé de résoudre une mort suspecte dans les entrailles du parc, il va être forcé de revisiter son passé douloureux, et de faire surgir nombre de secrets enfouis. Ce qui nous intéresse, bien plus que les twists attendus du genre, c’est le chemin intérieur d’un homme en ruine, en conflit avec lui-même, avec la mémoire, et avec ce que la nature lui renvoie de ses failles. Le deuil, ici, est un poids mort – et muet -, tapi dans les silences, les coupes abruptes, les échappées visuelles vers les cimes inaccessibles.
La nature, dans Untamed, n’a rien de consolatrice. Elle n’offre ni rédemption, ni apaisement. Elle est là, immense, indifférente, laissant les hommes tomber dans leurs propres pièges et creuser leurs propres tombes. Si la série nous embarque, c’est parce qu’elle exprime cette idée que la nature, bien qu’exploitée (commercialement), quadrillée, répertoriée, résiste encore à l’homme – et l’engloutit. Les gardes forestiers sont d’ailleurs montrés comme des policiers de frontière : armés, nerveux, tentant de maintenir un semblant d’ordre dans un espace qui leur échappe.
Cela dit, le scénario, malgré ses efforts – et une avalanche de secrets que chaque personnage traîne derrière lui – peine à surprendre. Tous les clichés sont là, bien rangés : les flashbacks mélancoliques, la coéquipière rebelle mais brillante (Lily Santiago, très bien), les fausses pistes, et même un twist final dans le dernier épisode. Mais au moins Elle et Mark L. Smith évitent le cynisme et l’esbroufe qui plombent tant de séries Netflix. Ils préfèrent la sobriété et la densité du non-dit aux explications lourdes et appauvrissantes.
Untamed n’est pas une grande série, mais elle a le mérite de nous intriguer, de nous dépayser, de nous faire sentir l’épaisseur d’un lieu comme on en voit rarement à l’écran. On est en revanche un peu inquiets à l’annonce d’une seconde saison, alors même que l’on quitte en voiture les limites du parc dans la scène finale. On espère très fort que cette fuite loin de la nature impitoyable ne signera pas un retour à la banalité.
Eric Debarnot