Le groupe londonien Bar Italia, naviguant entre shoegaze et post-punk racé, a calmé le jeu après avoir été une des sensations de 2023. Mais il n’a pas pris « sept ans de réflexion » non plus. Avec Some Like It Hot, sous influence de Billy Wilder, l’objectif est de franchir clairement un palier.

L’énigme Bar Italia est entière depuis 2023, année où le groupe de soi-disant étudiants arty londoniens a éclaté, après deux albums passés sous le radar (Quarrel, 2020, et Bedhead, 2021). Subitement, une hype montée à coups de singles ravageurs, entre shoegaze abrasif et power pop flirtant avec un post punk abrasif, se terminait en deux albums, Tracey Denim et The Twits, confirmant leur talent tout autant que leur incapacité à synthétiser. Un seul album réunissant le meilleur des deux, et évacuant le secondaire, car il y avait du matériel secondaire, aurait largement suffi et nous aurait plus éclairé sur la progression du groupe, et, accessoirement, sa place, rendue difficile à positionner, dans les palmarès de fin d’année. D’autant que les shows du trio, renforcé par des musiciens de scène pour la section rythmique, nous avaient laissé dubitatifs. Certes, ils étaient plus ou moins beaux, certes la chanteuse Nina Cristante dansait (un peu trop) sur scène, mais leur incapacité à reproduire les passages de murs soniques de leurs albums, à jouer très fort et bien à la fois, tout autant que leur détachement apparent, renforçaient ceux qui pouvaient y voir une hype mal contenue, et dans ce groupe une créature marketing qui aurait dépassé de manière trop déraisonnable le stade de la blague.
En cet automne 2025, le trio revient donc après une vraie-fausse pause, hérissée d’aventures diverses : celle en solo de Nina Cristante a été intéressante, il y a eu aussi un deuxième album, inégal, de leur side project Double Virgo, sonnant pareil mais un poil plus crasseux. Compte tenu de tout ce qui précède, ce cinquième album apparaît curieusement comme leur deuxième : celui dit de la confirmation, où il est attendu que le groupe « franchisse un palier ». C’est le cas sur certains points, comme le mélange et la gestion des voix et de leurs différents registres, avec une diversification qui voit celles de Sam Fenton et de Jezmi Tarik Fehmi (tous deux également guitaristes) se mêler habilement au jeu, comme sur la première track Fundraiser. Celle de Fenton, capable de passer du détachement total aux aigus, proche de celle de Thurston Moore, est bientôt rejointe par celle de Cristante sur une mélodie qui flèche d’emblée le territoire habituel dans lequel Bar Italia est le meilleur, celui d’un Sonic Youth moins noisy, ici plus proche de Blonde Redhead. Ses détracteurs, minoritaires dans les cercles indés (mais ils existent) diraient plus simplement qu’ils ont appris à chanter, ou, en tout cas, qu’ils chantent mieux. Nous n’épiloguerons pas sur ce point, mais, plus globalement, nous avons du mal à établir une évolution notable, puisque le groupe reste ici le meilleur dans cette zone, celle des chansons, alternant froid et chaud, montées et descentes, qui peuvent être jouées souvent très vite dans les montées et très fort, avec les voix faisant les montagnes russes, soit séparément, soit ensemble, à deux ou à trois. Outre la chanson d’ouverture, on trouve ici dans ce registre les deux autres singles déjà sortis (Cowbella et Rooster), I Make My Own Dust, et, vers la fin de l’album, Eyepatch et Omni shambles, qui condense en à peine plus de 2 minutes ce que Bar Italia sait faire de mieux dans ce haïku post-punk au fond un peu vain. Les deux chansons les plus intéressantes sont sans doute I Make My Own Dust, à mi-album, très efficace, et, en avant-dernière position, Eyepatch, à la mélodie un peu plus originale, et où les guitares sont bien appuyées par la batterie.
Pour le reste, et c’est tout le problème, les autres morceaux ne sont pas très passionnants, entre ballades anecdotiques et midtempos mollassons se voulant peut-être vénéneux mais guère marquants. C’est le cas de Marble Arch et Bad Reputation (cette dernière dans un registre velvétien, et mêlant quand même habilement les voix en milieu de chanson), en 2ème et 3ème positions, qui plombent le décollage de l’album, puis de Plastered (qui flirte avec certaines ballades de Yo La Tengo, dans sa veine la plus douce, et en moins marquant), The Lady Vanishes (au titre hitchcockien et qui se termine avec quelques notes de piano), et, près de la fin de l’album, de Lioness, midtempo un peu plus énergique, dominé par la voix de Cristante sur une mélodie aux dissonances légères et bien digérées. Dans ce domaine, pas franchement convaincant, s’il fallait en sauver une, ce serait donc cette dernière selon nous, d’autant qu’elle s’enchaîne bien avec la conclusive Some Like It Hot, qui donne son titre à l’album, dans un clin d’œil incongru à Billy Wilder. Avec son piano un peu dissonant, et ses cloches conclusives, elle constitue une conclusion inattendue, plutôt réussie, à cet opus de 45 minutes, et qui donne envie de le réécouter. C’est déjà ça.
Au final, nous considérons que ce cinquième album de Bar Italia ne marque pas vraiment de progrès de la part de ce groupe talentueux, qui a trouvé sa formule, mais tourne un peu en rond sur celle-ci. Si les progrès sur les voix et certaines mélodies sont notables, cela reste « pas assez », le groupe ne convaincant pas sur les chansons plus midtempo, soit tout de même la moitié du disque. Force est de constater qu’il ne transcende pas non plus ses limites habituelles, en premier lieu sur les textes, restant cryptiques, liés aux sonorités des mots et à leurs associations, plus qu’à des idées ou à des thématiques. Résultat, si certains refrains, notamment ceux portés par la chanteuse, peuvent interpeller, rien ne marque et ne reste durablement. C’est un peu comme si Bar Italia manquait encore de chair, comme s’il devait, peut-être, affronter un peu plus la vie, et ses duretés, pour gagner en épaisseur et en authenticité. Nous formons cependant bon espoir que le groupe ait progressé fortement dans un domaine, après ses centaines de concerts : celui de la scène. Pour peu qu’il arrive à faire le tri dans tous les morceaux publiés depuis trois ans, cela pourrait donner lieu à de très bons moments pour les amateurs de ce rock indé racé et puissant, mais pas encore à point. A confirmer sous peu sur les scènes françaises.
Jérôme Barbarossa
Bar Italia – Some Like It Hot
Label : Matador
Sortie le 17 octobre 2025
Bar Italia sera en concert à Paris (Maroquinerie) le 28 octobre, à Lille (L’Aéronef) le 24 février, Paris à nouveau (Elysée-Montmartre) le 26 février, Bordeaux (Rock School Barbey) le 28 février et Nantes (Stereolux) le 1er mars.
Leur concert de juin 2024 à la Cigale m’a paru personnellement beau et touchant, bien loin de l’effet de hype que je craignais.
Je ne suis pas en désaccord, et même plutôt d’accord avec ton sentiment déjà exprimé, celui d’un concert en deux temps, très diesel dans la première partie, avec au menu approximations et lumières fixes perturbantes, avant une montée en puissance appréciable dans la deuxième moitié. On espère à présent qu’ils tiennent la longueur d’un concert entier !