Et puis les touristes

aff film_6.jpgComment tourner aujourd’hui un film à  Auschwitz, lieu chargé d’une terrible mémoire que notre perception voudrait bien à  jamais voir figé dans une lumière blafarde, projetée sur les barbelés et miradors. Comment donc dépasser une vision à  la fois fantasmée et empreinte d’un respect indubitable qui semble interdire toute possibilité d’imaginer un Auschwitz contemporain, retourné à  une existence paisible et quelconque, transformé en gigantesque halte touristique et mémorielle.

Questions cruciales et complexes que l’art cinématographique – mais il pourrait être aussi littéraire – peut s’employer à  saisir en tentant d’y apporter un éclairage singulier et subtil. Une tache délicate à  laquelle le jeune cinéaste berlinois Robert Thalheim s’est attaqué dans son deuxième long-métrage Et puis les touristes, titre qui porte en lui toute l’incongruité de la situation décrite. Sven Lehnert débarque à  Auschwitz pour y accomplir son service civil. Sa première mission consiste à  s’occuper d’un survivant des camps : Stanislaw Krzeminski, ancien détenu qui ne s’est jamais résolu à  quitter le lieu de sa captivité, se consacrant désormais à  témoigner dans les écoles et pour les institutions de son expérience concentrationnaire. Il continue également à  restaurer avec une minutie obsessionnelle les valises confisquées aux déportés.

Pour Sven – qui débarque à  Auschwitz parce que sa candidature pour un poste à  Amsterdam n’a pas abouti – la découverte du lieu symbole de la Shoah et la cohabitation avec Krzeminski sont déroutantes et le confrontent directement à  l’Histoire et aux enjeux commémoratifs. Partageant la même nationalité que les tortionnaires, Sven, d’abord déplacé dans cet univers,, prend petit à  petit conscience de la nécessité de la préservation du souvenir et des motifs du comportement rude et mutique de l’ancien prisonnier.
Robert Thalheim ne semble pas impressionné par son sujet car il parvient à  créer la distance juste entre une certaine démythification et la charge émotionnelle des lieux. Sven évolue parce qu’il reste assez longtemps pour s’imprégner et qu’il possède un regard neuf et sans trop de préjugés. Ce qui n’est pas le cas des jeunes Polonais qu’il côtoie : pour eux, l’endroit est devenu un fardeau qu’ils préfèrent envisager de quitter. Et encore moins celui du personnel de l’industrie chimique locale rachetée par …les Allemands qui, de jeunes apprentis à  moitié débiles aux cadres faussement compatissants, illustre la complexité des relations entre les deux peuples et les générations.

Loin de notre imaginaire collectif, Auschwitz est devenu une bourgade tranquille avec sa rivière où il fait bon se baigner, ses routes ombragées où se promener à  vélo, y compris le long des grillages de Birkenau. C’est là  toute l’intelligence subtile du cinéaste à  distiller une émotion rare et à  travers ses interrogations sur le devoir de mémoire à  envisager la possibilité d’un avenir.

Patrick Braganti

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Et puis les touristes (Titre original : Am Ende kommen Touristen)
Film allemand de Robert Thalheim
Genre : Drame
Durée : 1h25
Sortie : 14 Mai 2008
Avec Alexander Fehling, Ryszard Ronczewski, Barbara Wysocka

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Site officiel

La bande annonce :
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