Submarino

SUBMARINO.jpgQue l’on apprécie ou pas, on ne démentira pas le fait que Vinterberg a marqué une étape importante au cinéma avec »Festen » dans la réalisation et le rapport de partage qu’il peut y avoir entre l’intime le plus obscur et l’attente large du public.

Avec »Submarino » le cinéaste danois reprend ses thèmes de prédilection (l’annihilation de la famille, la misère physique et sociale, la violence des rapports humains) pour les porter à  l’écran à  une forme de confession dont la sidérante beauté emboîte le pas au misérabilisme et à  la crudité. Le récit, biblique, décrivant des demi-dieux déchus dont le pathétique n’exclut pas l’espoir, est comme d’habitude d’un pessimisme insoutenable, dessinant des parcours plombés par les mauvais choix et un fatalisme aigu dont Vinterberg semble ne jamais se départir. Sa vision du monde, glauque, sale, plus que malsaine, est une priorité donnée aux laissés-pour-compte, à  ces gens véritables qui vivent l’enfer à  partir de leur plus tendre enfance.

Dès le début Vinterberg nous met face à  un drame proche du voyeurisme, dont l’impact esthétique aura toute la facilité de nous mener en bateau jusqu’à  la fin. Tableaux de la grisaille que la beauté du cadre embellit, enrobant de papier d’or la noirceur frontale des faits et des gestes, l’image qu’utilise le cinéaste sert à  créer l’empathie pour une série de personnages vomitifs mais priant la chance et l’espoir de renverser leur destin. C’est toute la force de cette oeuvre que d’être formellement séduisante sans ne jamais réduire l’horreur de ce qui est montré. C’est la maîtrise perverse du plaisir public (à  condition d’accepter d’être malmené) face à  la souffrance des autres, fictive ici, réelle ailleurs. Comme souvent dans le cinéma danois, tout développement est construit sur l’accumulation des pires drames : bébé mort, obsédé sexuel, absence des parents, alcoolisme, offrande gratuite des corps aux démunis, addictions diverses.. »Submarino » n’est pas encore le film déclencheur d’un festival de joie nordique. Le plus intéressant ici sera de voir comment Vinterberg transforme de simples personnages en démons errants, violeurs et protecteurs en une même personne, la manière dont un récit dérangeant – parce qu’on ne veut pas qu’il nous concerne – devient une alliance de réalisme sordide et de voyage spirituel. La réunion de symboles bibliques apportent une dimension intense de léthargie et d’incapacité : on ne peut alors que se laisser mener par ce terrible jeu du hasard où sont rassemblés les pires desseins des bas-fonds de l’âme humaine.

Là  où le film devient faible, c’est par contre dans sa construction simpliste : un chapitre laisse la part à  Nick, le second à  son frère. Entre deux une brève mais lumineuse retrouvaille, et en guise d’ouverture et de clôture l’image bienveillante du souvenir de l’enfance. C’est dans son squelette réduit que »Submarino » peut être attaqué ; on a trop vu ce drame auparavant, sachant toujours que plus le film avance, plus la destination est obscure. Il est regrettable de voir que Vinterberg se suffit à  répéter ses habitudes cinématographiques – d’une manière toutefois plus belle que celle de »Festen ». On aurait aimé voir le renouveau d’un auteur à  la vision puissamment amère. Mais louons ses choix de mise en scène, d’esthétisme (parfois grandioses, parfois gênants), cette seule démarche qu’un spectateur puisse partager à  défaut d’avoir vécu une si terrible histoire. C’est aussi dans ce moyen uniquement cinématographique que »Submarino » a la perspective de devenir plus métaphysique que la simple réalité qu’il décrit. Louons-lui aussi l’exceptionnelle direction d’acteurs qu’il entreprend. Ceux-ci incarnent sans jamais chercher l’émotion supérieure, car ce n’est pas là  où le film se destine »Submarino » n’est pas un mélo, n’entend pas faire pleurer les sensibles ; c’est une tranche de vies dont on ne ressort pas indemne, loin de toute nuisance émotionnelle autre que le rejet. C’est aussi l’importance du cinéma que de ne jamais être tiède. En voilà  un cas extrême, exercé avec brio mais dont l’admirable ou détestable audace de point de vue ne peut être en aucun cas accepté comme une partie de plaisir. Thomas Vinterberg, comme les formateurs de cette vague nihiliste dont Von Trier fût l’initiateur, fait de son film une oeuvre que l’on ne peut ni vivre ni ressentir. Juste survivre, au même point que les protagonistes se démenant pour un avenir un peu plus juste.

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Jean-Baptiste Doulcet

Submarino
Film danois-suédois de Thomas Vinterberg
Genre : Drame
Durée : 1h50 min
Avec : Jakob Cedergren, Peter Plaugborg, Patricia Schumann…
Date de sortie cinéma : 1er Septembre 2010