Happy few

happy_few.jpgLe libertinage semble devenu aujourd’hui, et ce depuis un moment, une véritable marque de fabrique dans le cinéma français. En effet les films d’auteurs enchaînent sans autres préoccupations les tourments sentimentaux de couples à  la dérive.

Dans »Happy Few » la tromperie prend une autre forme puisque se substitue à  l’habituelle construction de l’amour secret une décision prise ensemble : Rachel/Franck et Teri/Vincent optent pour une situation échangiste dans laquelle chacun se prête à  l’autre jusqu’au point de confondre les sexes.

Sur un sujet délicat et rarement traité de front, Antony Cordier réalise une fantaisie existentielle sur l’apogée du désir et ses racines. On passera le fait que le scénario établit un rapport très superficiel sur l’élément déclencheur de cet évènement, pour savourer l’humanité crue et solaire des personnages et de leurs échanges. Bien plus que de filmer des ébats érotiques (ce qu’il fait toutefois avec sensualité), le cinéaste développe un point de vue adulte sur le temps et ses tracas. Sur l’ennui du couple et l’envie de se débarrasser des idées reçues en tentant l’impossible et les fêlures qu’il entraîne. L’interêt du film est évidemment d’utiliser la vision de l’enfant (peut-être volontairement trop effacée justement pour ne pas tomber dans le questionnement malsain de la sexualité parentale), pour montrer jusqu’où les envies égoîstes de chacun peuvent surmonter le rôle maternel ou paternel. A cette proposition répond l’amertume de la fin où, en voix off, Rachel avoue que le bonheur de découvrir l’autre en échange passe avant la joie d’avoir vu sa fille naître.

Antony Cordier, loin des prétentions auteuristes d’un certain cinéma français confronté aux questions générationnelles sur l’identité sexuelle, contient en lui une liberté de ton et une maîtrise technique qui s’accorde tout à  fait avec l’esprit libertin des protagonistes. La spontanéité remarquable des comédiens dans des rôles extrêmement délicats confirment aussi la maîtrise de directeur d’acteurs d’Antony Cordier. Et, grâce à  une abondance de bonnes idées, son film prend la forme d’une oeuvre personnelle qui dépasse formellement les habitudes du genre pour atteindre sans peine un statut très personnel. Il y a ces caresses bestiales dans la farine ou le quatuor s’adonne à  un plaisir partagé (séquence dont on retrouve la partie manquante lors d’un final émouvant), et l’utilisation de la gymnastique comme une métaphore des possibles physiques que l’on relit aisément à  travers la mise en scène du sexe. Brillamment orchestré, »Happy Few » en devient une ôde à  la joie, parfois funèbre lorsqu’elle dessinne les sentiments inavouables de chacun, parfois légère lorsqu’elle ne montre que la face idéaliste de cette folle révolution. Sans tomber dans l’apologie d’un amour libre et bio, Antony Cordier réalise une oeuvre lucide et sincère sur l’existence du temps dans le couple, le besoin fou de l’autre, quitte à  tomber dans les méandres d’une solitude jusque-là  inaperçue.

4.gif

Jean-Baptiste Doulcet

Happy Few
Film français de Antony Cordier
Genre : Drame
Durée : 1h43min
Avec : Marina Foîs, Elodie Bouchez, Roschdy Zem…
Date de sortie cinéma : 15 Septembre 2010