Pete Shelley vient de nous quitter. Il y a tout juste 40 piges, Pete et ses Buzzcocks débarquaient dans la vague Punk qui a englouti l’Angleterre et ouvraient leur propre voie entre les deux géants du genre (The Clash et Sex Pistols).
Une voie rien qu’à eux, entre l’urgence et le « Do It Yourself » Punk et une recherche mélodique, une créativité plus Pop. Les Buzzcocks ont inscrits leur nom dans le Hall of Fame du Punk Anglais de la plus belle manière; avec rage et inventivité. Encore merci Mr Shelley.
C’est en 1975 au Bolton Institute of Technology (Université de Bolton) que Peter McNeish (dit Pete Shelley) et Howard Devoto se rencontrent pour la première fois.
Nos deux amis s’essayent à la musique en rêvant de Glam, d’outrance musicale et de Dandysme décadent en se shootant au David Bowie, Velvet Underground, T.Rex et autre Roxy Music.
C’est pourtant de Manchester que tout s’enclenche. Manchester où la jeunesse ne demande qu’à exploser, qu’à envoyer chier leur ouvrier de paternel et foutre le feu aux usines de textiles qui encombrent l’horizon et les rêves des gamins.
Mais doucement monte du Sud, de la capitale, un brouhaha, un tumulte dont l’onde de choc va ravager le pays – et de nombreux autres – et permettre à une jeunesse sans avenir, une jeunesse qui voit fermer ses usines à tour de bras, de reprendre espoir ou du moins de cracher son mal être.
C’est la voix dégueulasse de Cockney imbibé, cette voix comme un coup de craie sur le tableau noir des bonnes manières made in Rosbeefland qui déchire le ciel gris de Manchester en ce début d’année 1976: La voix rouillée de Johnny Rotten.
Les Sex Pistols tombent sur l’Angleterre comme une couille dans ton assiette de potage et mettent le feu à une jeunesse qui n’attendait que ça.
Voilà nos deux amis en route pour Londres pour vérifier si comme le gueulait Joe Strummer des Clash « London Burning ». Mais c’est les Pistols que Shelley et Devoto viennent voir à la capitale.
C’est le phénomène crée par McLaren, c’est l’outrance, c’est le bruit et la fureur que sont venus chercher les deux Mancuniens.
C’est le choc ! Oublié Marc Bolan et ses frou-frou Glam, oublié le dandysme nonchalant de Brian Ferry. Place à la rébellion, place à la destruction, à la laideur. Place au nihilisme et à la remise en cause de l’héritage Rock des 70’s. Place au Punk.
Shelley et Devoto fascinés par l’énergie de la bande à Vicious décide de les inviter à jouer à Manchester – mais ne pourront en assurer la première partie, faute de formation définitive – où ils délivreront la bonne parole des bas-fonds de London City à base de crachats et d’insanités en tout genres face à un public Mancunien médusé (Les futurs The Fall, Joy Division ou The Smiths par exemple étaient dans la salle).
C’est une révélation pour les deux potes. La voix est trouvée. Ce sera le Punk.
Les copains sont pressés. Le Punk n’attend pas. Ils recrutent dans l’urgence un batteur (John Maher) et un bassiste (Steve Diggle) et se nomment Les Buzzcocks.
Buzzcocks ? Une première version affirme que ce nom étrange est tiré d’un article de la presse Rock qui titrait « It’s the Buzz, Cock! » ( C’est la pêche, mon pote! En gros.) et une seconde (ma préférée) est le terme argotique pour désigner un vibromasseur.
Voilà en tout cas nos quatre amis lancés sur la voie du Punk. Un premier EP de 4 titres ( Avec notamment les classiques What Do I Get et Orgasm Addict qui sera censuré sur les ondes) éclabousse comme un pavé dans la mare le – encore – petit monde du Punk Rock.
Ils commencent à hanter les festivals Punk d’Angleterre, faisant de nombreuses fois les premières parties des Clash et des Pistols.
C’est là. Juste avant l’enregistrement de leur premier album (après seulement onze concerts. En février 1977) que le sieur Howard Devoto anticipant le feu de paille que représentera le Punk préfère tirer sa révérence et partir sous d’autres cieux, des cieux plus sombres, pour écrire une page importante de ce que l’on nommera le Post-Punk avec son glacial Magazine.
Le groupe subira quelques modifications – Diggle remplacera Devoto à la guitare et Garth Smith prendra la basse – et repartira immédiatement à l’assaut d’un territoire presque vierge et d’un mouvement qu’ils savent compter dans le temps.
C’est à ce moment, en Janvier 1978 que sort leur premier véritable album: Another Music in a Different Kitchen. Sur ce marché underground qu’est le Punk à la fin des seventies les Buzzcocks grâce à une présence régulière sur les scènes Punk et une originalité, une griffe bien à eux, trouvent facilement leur place entre l’outrance, la révolte adolescente, le « No Future » des Sex Pistols et la radicalité politique, l’éclectisme musical des Clash.
Devoto parti, Shelley prend le micro et ça colle immédiatement. Une voix plus aigüe (aux sonorités assez proches d’un Robert Smith première époque), une voix qui détonne dans un Punk Rock habitué aux accents rageurs d’un Rotten ou d’un Strummer. La voix se fait un brin plus mélodique, mais pas que.
Les guitares accrocheuses, les riffs rapides se teintent également de mélodies encore inhabituelles dans le Punk ( Le Post Punk viendra remédier à cela, en les enrichissant ou en les déstructurant totalement). Une basse très présente et une batterie qui frappe en binaire dans le plus pur style Keu-pon accompagnent ce Punk mélodique, cette Pop survitaminée.
Car il s’exerce chez les Buzzcocks (plus que chez certains autres dans le mouvement Punk), très prégnante, cette grande tradition Anglaise qui des Kinks ou des Who, en passant par The Jam et jusqu’aux Arctic Monkeys, une véritable ambition mélodique associée à un Rock plus dur, plus distordu.
Mais les Buzzcocks malgré cela ne rentrent pas tout à fait dans le cadre serré d’une Power Pop à l’Anglaise. Le groupe est trop Punk, trop rapide, trop sauvage.
Les Mancuniens livrent un premier album à l’énergie dévastatrice. Les morceaux s’enchainent à la vitesse de l’éclair et ne laissent que très peu de temps pour reprendre son souffle. C’est Fast Cars qui ouvre l’album dans un crépitement de guitare furieuses soutenues par une basse enveloppante très présente et une batterie Punk débridée. La suite du skeud est à l’image de ce premier morceau. Un souffle épique, une énergie folle, adolescente passe sur l’album comme Attila sur les vertes prairies de l’Europe Centrale et met à sac tout ce qui dépasse, interdisant même à l’herbe de repousser.
Des petits bijoux vifs comme la poudre parsèment ce premier album réussi. No Reply, I Don’t Mind ou Sixteen maintiennent l’urgence Punk jusqu’au très étrange Moving Away from the Pulsebeat (Dernière piste du disque de plus de 7 minutes) où l’on sent déjà affleurer les suites inattendues, les ramifications étranges que le Punk, condamné à mourir, va offrir à la musique moderne par le biais de ce que l’on appellera le Post-Punk.
Mais pour l’instant les Buzzcocks, avec ce premier album, sont bien ancrés dans leur époque et offre au Punk Anglais une alternative plus mélodique, plus « Pop », une autre voie au milieu des deux mastodontes que sont Les Clash et les Pistols.
Another Music in a Different Kitchen. Un titre qui prend enfin tout son sens.
Renaud ZBN
Buzzcocks – Another Music In A Different Kitchen est sortie le 10 mars 1978 United Artists Records
En 1996, est sorti la réédition de l’album chez EMI comprenant quatre morceaux (et pas des moindres) de la même époque : Orgasm Addict, Whatever Ever Happened To?, What Do I Get? et Oh Shit.