Film conçu par Laurent Cantet qu’il n’aura malheureusement pas eu le temps de réaliser lui-même avant que la maladie l’emporte, Enzo est un beau récit initiatique où l’on retrouve bien des thèmes du cinéma de cet auteur trop tôt disparu.

Après avoir projeté en ouverture Ma vie, ma gueule en 2024, la Quinzaine des Réalisateurs a réitéré l’hommage posthume en 2025 avec Enzo, le film qu’aurait dû réaliser Laurent Cantet, malheureusement emporté par la maladie avant d’avoir pu s’y atteler. Son ami Robin Campillo a donc pris le relais, pour un film annoncé « De Laurent Cantet, réalisé par Robin Campillo », jolie entorse à la traditionnelle posture du réalisateur face à l’œuvre.
De Laurent Cantet, on retrouve beaucoup dans ce film : la Ciotat de L’Atelier, la jeunesse d’Entre les murs, ou la fracture sociale de Ressources humaines, à la différence près qu’elle est ici inversée. Le fils cadet décide d’abandonner le lycée pour devenir maçon, face à des parents déroutés, alors que l’aîné s’apprête à intégrer la prépa d’Henri IV.
Enzo est un récit initiatique où il s’agit de se mettre au diapason d’un individu qui décide d’appréhender le monde par les sens. Enzo veut travailler de ses mains, fustige l’emploi de l’expression « coûter un bras » par sa mère, et vante la matérialité de sa contribution au monde. Les murs qu’il construira resteront. Son corps s’épanouit dans la piscine qui encercle la villa parentale, et commence à frémir face à d’autres : rien que la vie de son âge, en somme, entre élans contradictoires et place à définir.
La réussite du film tient surtout dans la délicatesse de son traitement, particulièrement équilibré dans les personnages qui gravitent autour d’Enzo : un entourage aimant, mais inquiet (Bouchez et Favino sont absolument parfaits, et on souhaite à tous les ados de France de les avoir pour parents), un ami qui lui veut du bien, un frère qui ne le juge pas. Il ne s’agit pas de disserter sur les classes sociales ou les élans du cœur, mais de suivre un individu en construction, affrontant quelques murs tout en en bâtissant d’autres, d’abord de guingois. Campillo, toujours à l’aise lorsqu’il s’agit de suivre le regard spontané de la jeunesse sur le monde un peu pétrifié des adultes, laisse la chaleur s’épanouir, privilégie les heures de farniente d’un été accablant, les pauses et les retours à la maison pour brosser le portrait de son personnage.
Si le récit évolue vers quelques légères facilités d’écriture (le motif du pistolet, par exemple), il garde le cap sur cette fissure entre les individus qui ne cessent jamais de vouloir aider l’autre. Le renversement des perspectives (« tu nous méprises », dit son père à Enzo, dit le bourgeois au maçon) a ceci d’intéressant qu’il bouscule une codification dans laquelle l’adulte, par amour et idéal, cherche à façonner une identité et un parcours. Une amie des parents le souligne : « J’ai l’impression qu’on veut que nos enfants rentrent dans le rang, et quand ils le font, on regrette un peu leur folie ».
Pendant ce temps, Enzo se baigne dans une calanque, loin des discussions, dans la sensorielle appréhension de l’eau et de la lumière. Un corps qui s’écorche et qui avance, dont le cap reste à définir, mais dont la liberté laisse rêveurs ceux qui le contemplent.
Sergent Pepper