« La femme la plus riche du monde » de Thierry Klifa : l’accro de la fortune

Une peinture (à l’)acide d’une bourgeoisie mise soudain face à son ennui et à ses turpitudes (mais n’en ayant, en vérité, pas grand-chose à faire) qui, dommage, se traîne dans sa dernière demi-heure, et dynamitée par un Laurent Lafitte absolument génial en trublion fantasque et opportuniste.

Copyright Manuel Moutier

Le titre du nouveau film de Thierry Klifa est, en réalité, un rien trompeur, puisque La femme la plus riche du monde aurait dû s’appeler L’homme le plus bitchy du monde, ou encore The Laurent Lafitte show. On y parle bien, sous couvert de comédie grinçante et de pseudonymes à la pelle, des affaires Banier-Bettencourt, puis Bettencourt-Meyers, qui, à partir de 2007, allaient défrayer la chronique et révéler le monde feutré, d’un cynisme absolu, corrompu par le pouvoir et pourri de l’intérieur (shakespearien, en somme), des ultrariches. Néanmoins, tout cela paraît presque accessoire face à l’incroyable abattage de Lafitte dans le personnage de Pierre-Alain Fantin, alias François-Marie Banier, figure emblématique, parmi d’autres, de la jet set culturelle (mais pas que) des années 70 à 2000, à la fois photographe et romancier, vulgaire et flamboyant, dandy et escroc (du moins pique-assiette patenté).

Lafitte donc qui s’en donne à cœur joie dans l’incarnation de ce Fantin fantasque et, à sa façon, transgressif, dynamitant et le film, et l’univers corseté dans lequel il est introduit (il doit réaliser une série de photographies de Marianne Farrère pour le magazine Selfish). Ses mimiques, ses poses, les intonations de sa voix, les outrances et les répliques perfides, tout est absolument jubilatoire dans l’interprétation de Lafitte et dans chaque apparition de ce personnage hors normes. Et, sans lui, que nous serait précisément resté du film ? La mise en scène ? Quelconque. Isabelle Huppert ? Elle fait du Huppert. Certes, elle le fait bien, mais sans surprise, toujours avec cette même élocution et ce même maintien, rigide, du corps hérités de La pianiste. Marina Fois ? Son personnage manque cruellement de saveur. Les autres personnages peut-être ? Pas assez étoffés pour être un tant soit peu marquants.

Seul Raphaël Personnaz, dans le rôle du malheureux majordome à l’origine des enregistrements clandestins qui feront condamner Fantin/Banier, sait imposer une présence forte, en particulier dans sa relation plus que vacharde avec Fantin (ou celle, trouble, avec le mari de Marianne) et qui, à elle seule, aurait mérité un film (il faut voir Fantin ne jamais cesser, avec délectation, de le mépriser, ou uriner dans les rosiers de la villa des Farrère en lui rétorquant : « La prochaine fois je ferai caca. Je chie gros, je suis anal »). Mais c’est, évidemment, la relation entre Fantin et Marianne qui reste au cœur du récit, et de quelle nature était-elle réellement ? Relation évidente, à première vue : elle folâtrant avec Fantin parce qu’il lui permet un excès de folie, de désordre que son milieu ne saurait tolérer (et de se sentir, enfin, vivante), lui fricotant avec Marianne parce qu’elle lui offre cadeaux, contacts, accès à une certaine reconnaissance et… un paquet d’argent.

Mais relation plus complexe qu’il n’y paraît dès qu’on en perçoit les micro-détails et, on le sait, le diable est toujours dans les détails. Klifa et ses scénaristes ne cherchent d’ailleurs pas à la circonscrire absolument, laissant les spectateurs se faire leur propre opinion de la chose : codépendance, amitié (mais y a-t-il jamais eu une vraie amitié entre ces deux-là ?), pur intérêt (Marianne est-elle consciente que Fantin se sert d’elle ?), fascination (pour le côté sans-gêne de Fantin, pour la richesse sans limites de Marianne), véritable abus de faiblesse, autre chose qui nous aurait échapper… Dommage que le film se traîne dans sa dernière demi-heure, le scénario abordant alors la partie judiciaire de l’affaire qui n’est clairement pas la plus intéressante ni la mieux développée (idem pour celles sur le passé collaborationniste et antisémite des Farrère, ou sur la relation bancale entre Marianne et sa fille, mal aimée). Ce glissement vers plus de « sérieux », presque d’un réel réclamant sa part de dû au milieu de cette vaste bouffonnerie, vient pas mal écailler la peinture (à l’)acide d’une bourgeoisie mise soudain face à son ennui et à ses turpitudes, mais n’en ayant, en vérité, pas grand-chose à foutre.

Michaël Pigé

La femme la plus riche du monde
Film français réalisé par Thierry Klifa
Avec Isabelle Huppert, Marina Foïs, Laurent Lafitte…
Genre : Comédie dramatique
Durée : 2h03min
Date de sortie : 29 octobre 2025

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