Moi, Daniel Blake – Ken Loach

Une Palme d’Or 2016 qui ne fait pas l’unanimité. Un film nécessaire et bouleversant qui vise juste ou bien un film plombé par des personnages vus comme de simples symboles de la misère moderne ? Moi, Daniel Blake divise la rédaction de BENZINE.

Photo - Moi, Daniel Blake - ken Loach

POUR : On n’attendait plus grand chose d’un Ken Loach qui songeait sérieusement à prendre sa retraite de cinéaste et à se consacrer au documentaire après une carrière plus que bien remplie et couronnée d’une Palme d’or (Le Vent se lève) avant celle reçue pour Moi, Daniel Blake en mai dernier à Cannes.
Moi, Daniel Blake raconte les difficultés rencontrées par un menuisier d’une soixantaine d’années qui se trouve dans l’impossibilité de travailler pour des raisons médicales et qui doit se battre pour bénéficier de ses indemnités de chômage.

Avec ce nouveau drame ancré dans une réalité très actuelle, Ken Loach vise juste en pointant du doigt les absurdités et l’injustice du système administratif anglais qui met la pression sur les gens en situation précaire, en les culpabilisant et en essayant de réduire leurs prestations par tous les moyens, entrainant parfois des situations totalement absurdes.
A travers le portrait de ce sexagénaire qui se bat pour garder sa dignité, le cinéaste évoque une génération d’hommes et de femmes dépassée par le progrès technologique mais aussi par un monde de plus en plus kafkaïen où les lourdeurs et les incohérences administratives pénalisent toujours plus les classes sociales défavorisées.

Comme souvent chez Ken Loach le discours politique engagé s’appuie sur une histoire mettant en scène des personnages « forts », souvent un peu borderline, qui galèrent mais qui se serrent les coudes. C’est encore le cas ici avec cette jeune mère célibataire qui voit arriver dans sa vie ce bon vieux Daniel comme l’homme providentiel et avec lequel elle va faire un bout de chemin.
Avec la distance nécessaire, sans jamais essayer de jouer sur la corde sensible, sans misérabilisme et avec des situations criantes de vérité, et surtout avec beaucoup de pudeur, le réalisateur de Looking For Eric nous offre là un film brut et bouleversant qui rend hommage à ceux qui se battent au quotidien pour s’en sortir dans une époque où la place de l’humain est sans cesse réduite.

Sans être forcément un grand film et avec toujours ces petits défauts, ces « facilités » et ces faiblesses propres au cinéma de Ken Loach depuis tant d’années, mais qu’on lui pardonnera bien volontiers, Moi, Daniel Blake est un film nécessaire qui justifie cette Palme d’Or 2016 pour l’un des derniers cinéastes engagés et dont les films font plus que jamais un bien fou.

Benoît Richard

Moi, Daniel Blake : Photo Dave Johns, Hayley Squires

CONTRE : T’as une théorie du style complotiste, Illumaniti et tout ça, mais une théorie quand même : au moment des délibérations pour décerner la Palme d’or au dernier festival de Cannes, le jury a été salement drogué. Un machin puissant dans leur bouteille d’eau ou leur coupe de champagne… Un serveur qui passait par là ou une attachée de presse volubile travaillant pour les francs-maçons… Bref, il s’est passé quelque chose pour que George Miller et sa bande décident d’honorer Moi, Daniel Blake, et c’est d’une évidence terrible quand tu vois le niveau du film cumulant, sans broncher, gros sabots, élans lacrymaux et fin putassière qui t’as donné envie de gifler ton voisin qui, lui, manifestait bruyamment les divers écoulements de sa sensibilité (dont tu es dépourvu, évidemment).

Et puis ce n’est pas très bien joué (Dave Johns se prend systématiquement la tête entre les mains dès qu’il s’agit de suggérer le désespoir, le désarroi, le désespoir et… le désespoir ?), et puis les situations s’enchaînent lourdement (tout se prévoit d’avance, de la « reconversion » de Katie jusqu’à cet affreux final dont tu te dis que Paul Laverty, le scénariste, ne va pas oser, non, il ne va pas faire ce à quoi tu penses parce que ce serait tellement minable, tellement lamentable de le faire, mais si, il le fait quand même…) sans jamais envisager le film autrement qu’une espèce de tract didactique et revendicatif à l’attention d’indignés en pagaille qui applaudiront ça les yeux mouillés (les applaudissements et les yeux mouillés sont obligatoires vu la gravité du sujet, merci).

Et puis c’est quasi le genre de film qui dessert sa cause, qui te donne envie de passer dans le camp adverse. Sujet grave donc, très grave (lire à ce sujet les propos très forts de Laverty dans le dossier de presse, finalement plus parlants que le film lui-même), mais plombé par des personnages qui n’existent exclusivement qu’en symboles (et martyrs) rigoureux de la misère moderne récitant leurs dialogues où se glissent, parfois, quelques remarques nécessaires aux airs d’explication de texte sur les aberrations (et la rigidité) du système administratif anglais en charge de l’emploi, chasseur de pauvres, traqueur de prolos et autocratique à mort (et que certains de nos chers élus verraient bien exporté en France).

Pour la réalisation, comme d’habitude (et on le sait maintenant depuis un moment), le social n’est pas soluble dans l’affèterie ni la recherche du pensé, du faire beau (« aller à l’essentiel », cette foutue caution artistique cachant mal une certaine impuissance de mise en scène). C’est du cinéma engagé passe-partout, à peine offensif (si l’on excepte la scène, bouleversante, à la banque alimentaire où Katie ne parvient plus à lutter contre la faim, la seule qui touche vraiment parce que Ken Loach, sans forcer, dit beaucoup en montrant peu), ce cinéma engagé qui fait bien, qui fait pleurer, et que l’on sacre pourtant parce que c’est du social qui est censé « redonner la parole » (?), qui « réveille nos consciences », qui est vrai, qui est dur, reflétant un état du monde si précis et implacable que le récompenser paraît aller de soi, glorieux et charitable.

Michaël Pigé