Sobre et âpre jusqu’à en devenir, peut-être, un rien rigide dans sa recherche absolue de retenue, Querer sait ne pas être qu’un simple récit de procès de violences conjugales, auscultant avec nuances les racines d’un mal profond et des liens familiaux qui s’altèrent et se bouleversent.

Querer en espagnol, c’est vouloir. C’est aimer aussi. C’est désirer. Le programme de la série tiendra donc dans ces mots-là, ces trois mots-là précisément. Et parce que vouloir, pour Miren, c’est la volonté, c’est cette force de quitter son mari, Iñigo, après trente ans de mariage, sans cris et sans larmes, juste avec quelques affaires, une valise, des photos, et de déposer plainte contre lui pour violences conjugales. Et parce qu’aimer, pour ses deux fils, Aitor et Jon, c’est pouvoir ou non continuer à aimer un père malgré les accusations qui pèsent contre lui. Et parce que désirer, enfin, c’est ce désir d’une nouvelle vie pour Miren, ce désir de s’affranchir, de se reconstruire loin d’un époux qui, pendant trop longtemps, l’a contrainte, asservie à ses exigences et à ses humeurs.
Un époux qui ne comprend pas (ou ne veut pas comprendre ?) ce qui lui arrive, pourquoi Miren, soudain, décide de le traîner en justice. Et des fils qui, eux, cherchent à comprendre, chacun avec des convictions différentes, face à ce déboulonnement de la figure paternelle. Car ces violences, quelles peuvent-elles être au sein d’un couple qui semblait uni, sans problème ? Un couple presque banal, et banal comme tant d’autres ? Ces violences, invisibles à la vue de tous, c’est une emprise psychologique constante passant par le rabaissement, la colère (mais jamais les coups), l’éloignement avec la famille, le chantage émotionnel, la dépendance économique.
Et c’est, aussi, le viol conjugal. Des rapports imposés, consommés sans la moindre empathie et sans le moindre consentement. Et qui deviennent, au prétexte d’une normalité établie dans le couple, une sorte d’abus, des agressions. En quatre épisodes (dont trois portent les titres « Mentir », « Juger » et « Perdre », trois mots là encore qui viennent dire les enjeux et le combat à mener) et étendue, narrativement, sur plusieurs années, la série d’Alauda Ruiz de Azúa, Eduard Sola et Júlia De Paz Solvas dissèque à la fois les mécanismes judiciaires face à un fait de société encore mal encadré et reconnu par la loi (comment attester de la réalité d’un viol auprès de la justice quand le violeur n’est autre que votre mari ?), et les liens familiaux mis à mal par la décision de Miren. En particulier pour Aitor et Jon qui verront leurs relations aux autres (femme, amant, parents…) s’altérer et se bouleverser.
Décision de porter ses traumatismes devant la justice (le troisième épisode, se déroulant entièrement dans une salle d’audience, est d’une puissance scénaristique remarquable) et de pouvoir, enfin, les nommer, et les condamner. Sobre et âpre jusqu’à en devenir, peut-être, un rien rigide dans sa recherche absolue de retenue (de la mise en scène à l’interprétation en passant par la direction artistique), Querer sait ne pas être qu’un simple récit de procès avec victime sacralisée d’un côté et méchant coupable de l’autre. Et la série d’exposer, d’ausculter avec nuances les racines d’un mal profond, patriarcat dépassé, habitus misogynes, réflexes masculinistes, qu’importe le nom que l’on mettra dessus, qui n’a de cesse, par vieilles habitudes, par transmission sociale ou atavisme, de vouloir assujettir les femmes.
Michaël Pigé