H-Burns – Sunset Park : de l’intimité dans les grands espaces

Renaud Brustlein plus connu sous le nom de H-Burns sort son neuvième album. A l’écoute de Sunset Park, aucune révolution en vue dans la vision musicale tranquille du musicien, peut-être seulement l’assurance de la présence d’un abri ici pour les soirs de gros temps ou la promesse d’autant de déclinaisons de la mélancolie que la voix humaine peut en proposer.

© Marine Lanier Laure Barbosa

Et si savoir ce que l’on va trouver à la lecture d’un livre, à la vision d’un film ou à l’écoute d’un disque n’était pas en soi un défaut mais plutôt un atout, une forme de certitude apaisante dans ce monde où rien n’est totalement figé, où rien n’est immuable, où tout change comme ces villes de nos enfances tant de fois parcourues et que l’on ne reconnaît plus. Plus on vieillit et plus on recherche ces lieux qui n’ont pas changé, plus on vieillit et plus on est obsédé par cette forme de décrépitude que le changement installe dans nos souvenirs, dans cette mémoire que l’on aimerait neuve. Tout est mouvement et tout est vie mais parfois le mouvement est un mensonge, parfois, il est un succédané de mort, il infiltre nos états d’âme, il nous transperce.

H. Burns, j’ai lu ici et là, à l’occasion de la sortie de son neuvième album, Sunset Park que certains fâcheux lui reprochaient de « toujours faire le même album« , de se répéter à l’envie dans des formules similaires, dans une même obsession. Et si ces critiques n’avaient pas de sens, si elles n’avaient aucune importance ? Et si un artiste courrait toujours après la même obsession, comme un peintre qui, cent, mille fois, reproduit le même geste, dessine les mêmes traits pour mieux rendre, reproduire cette image qui traverse son esprit depuis toujours. N’y a-t-il pas dans la démarche artistique toujours une dimension obsessionnelle et monomaniaque ? Et puis, n’y a-t-il pas des musiciens chez qui nous allons chercher ce que l’on sait que l’on y trouvera. Et pour autant, ces mêmes créateurs installent dans nos oreilles un enthousiasme sans effet de manche, ces éclats du cœur au développement durable. Quand on crie au génie, certains préfèrent parfois les laborieux, les plus humbles qui jamais ne nous lassent.

Alors, oui, peut-être H-Burns fait-il toujours un peu le même album ? Peut-être traverse-t-il toujours un peu le même Slowcore, le même Folk décharné, la même Pop minimale ? Peut-être et peut-être pas ? Ce que semble chercher Renaud Brutslein depuis ses débuts sous le nom de H-Burns en 2006 et Songs From The Electric Sky, c’est de parvenir à concilier une vision onirique du monde à un sens certain de l’électricité et de la dissonance, à allier sens de l’espace et vision de l’éminemment intime. Ce que l’on entend aussi chez H-Burns, c’est cette volonté de trouver une réponse toute française, toute hexagonale à ses influences plutôt américaines, de Chokebore à Blonde Redhead, de Sparklehorse aux Flaming Lips. Pas surprenant de retrouver donc Dominique A sur Dark Eyes qui vient l’épauler dans cette déclaration d’intention à une internationale Pop. H-Burns partage avec l’auteur de La Fossette ce sens commun d’un lyrisme à hauteur d’homme, cette perception aigüe au-delà des apparences de nos travers, de nos défauts et de nos petitesses.

Sunset Park est traversé par le même souffle, la même respiration qui court dans les disques de Sufjan Stevens, ceux de Clogs, de Complete Mountain Almanac, de The National. Quand on va fouiller dans le livret, on n’est pas surpris de retrouver à la production David Chalmin croisé du côté de Matt Elliott, de This Immortal Coil et de tant d’autres. Alors, certes, oui, on ne viendra pas chercher un grain de folie dans ces chansons volontiers mélancoliques, parfois transparentes comme une anecdote, sans aspérités mais pleines de cette personnalité attachante immédiatement reconnaissable.

Aussi étrange que cela puisse paraître, on ne reproche jamais à un peintre de perpétuellement reproduire la même forme, alors pourquoi le reprocher à un musicien ? Comme tout artiste, Renaud Brustlein recherche la formule de la perfection Pop et ce ne sont pas les sublimes arrangements de New Moon comme échappés d’un inédit de Mickey Newbury qui viendront contredire cette impression.

Et puis il y a chez H-Burns un sens certain de la surprise, prenez Different Times qui s’annonce comme une énième ritournelle Pop et qui se métamorphose en une structure crépusculaire impalpable. H-Burns emprunte aussi d’autres chemins, un son West-Coast, le regard porté vers la Californie où le disque a été produit et enregistré avec Rob Schnapf, co-producteur des disques d’Elliott Smith. Mais toute la singularité, toute l’originalité de ce disque moins simple qu’il ne le semble de prime abord réside dans un point un peu obscur, dans ce français qui s’empare de références américaines et les fait siennes. C’est dans cette vision fantasmée, dans ce regard apatride que réside toute la chair de Sunset Park, toute la fraîcheur d’un individu que l’on ne sent jamais blasé, toujours émerveillé par ce qui l’entoure. Et les paysages de défiler, et les kilomètres de s’accumuler, les miles, devrait-on dire, le désert californien, de nous saisir dans Sidelines. Renaud Brustlein se pose ici en Candide, en voyageur, en touriste naïf et enthousiaste. Sunset Park devient alors un récit de voyage dans lequel on ne reconnaît plus les lieux ni les gens, dans lequel on ne se reconnaît même plus soi-même, comme le dit en clôture dans le superbe Movies H-Burns.

L’Americana de H-Burns devient alors intraçable, elle n’est pas localisable, elle n’est ni seulement américaine ni vraiment européenne, pas seulement française ni totalement vieux continent. Elle est dans un ailleurs incertain, dans ce petit rien à la fois accueillant, faussement prévisible, divinement familier qu’est la musique précieuse de H-Burns, ce mouvement qui n’est plus une source de changement mais la croissance d’un enthousiasme qui saura s’installer dans le temps et dans la durée, qui n’a que faire avec l’éphémère et qui a tout à voir avec la fidélité que l’on entretient avec ces êtres qui nous font du bien et c’est sûr, la musique de H-Burns nous fait du bien, elle nous est nécessaire.

Greg Bod

H-Burns – Sunset Park
Label : Yotanka Records
Sortie le 03 février 2023