Yves Tumor – Praise A Lord Who Chews But Which Does Not Consume; (Or Simply, Hot Between Worlds)

Avec son nouvel album, Yves Tumor, l’artiste dont on n’est pas sûr que Sean Bowie soit le vrai nom de naissance, réussit au prix de quelques scories le mariage de la carpe funk et du lapin rock indé.

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© DAN HEMINGWAY

Parce que oui, le nom de l’artiste au civil est supposé être Bowie. Vrai… ou autant du chiqué que les diverses identités du Thin White Duke? Pas grave, que la légende soit ou non la réalité, imprimons la légende. Et ce d’autant plus que Tumor a une allure dont l’extravagance renvoie aussi bien au Funk qu’au Glam Rock. Avec Heaven to a tortured mind, Yves Tumor avait justement tenté de fusionner la sensualité moite du funk tendance Prince des débuts/Bootsy Collins avec l’agressivité bruitiste de Throbbing Gristle. Tentative audacieuse donnant plus une impression de juxtaposition que d’osmose des contraires.

Yves-Tumor-albums-2023S’agissant de ce nouvel album au titre alambiqué, beaucoup ont du coup donné valeur de note d’intention à la présence de Noah Goldstein à la production/composition combinée à celle d’Alan Moulder au mixage. Respectivement une figure ayant navigué entre Kanye West, Frank Ocean et Arcade Fire et un CV balayant le rock mainstream et indé contemporain de U2 à Arctic Monkeys en passant par My Bloody Valentine. Pour un résultat toujours en forme de patchwork mais penchant cette fois nettement plus du côté du rock.

Au point qu’on ait l’impression que l’ossature d’une partie des chansons de l’album se résume à tenter de poser une mélodie à la Prince sur un plan de guitare entendu… chez Cure par exemple. Cela peut fonctionner, comme sur le God is a circle d’ouverture où Tumor pose une voix mi-mumuré funk mi-détachée sur une base rythmique à la Suicide. Ou sur Echolalia, où les vibrations princières de la voix se mêlent parfaitement à un rythme martial gothique. Mais cela peut parfois donner un sentiment de procédé à l’écoute de l’album d’une traite, quand bien même les autres morceaux basés sur la « recette » sont loin d’être ratés. Et passent même très bien en écoute isolée. Fear Evil Like Fire et sa mélodie façon premier album de Blood Orange posée sur une base rythmique Cure période Seventeen Seconds par exemple.

On peut leur préférer le plus élaboré Lovely Sewer, commençant pourtant par une vocalise à la Kravitz posée sur un beat synthétique. Mais dans lequel une voix soul féminine surgit en même temps que de la basse/batterie à la Cure, comme un double effet de rupture. Ou le final Ebony Eye, ses violons soul, sa basse à la In Bloom et sa tonalité mélodique New Wave. De même qu’un Parody construisant sur la longueur les noces entre sa mélodie de ballade princière et des guitares métalleuses. Meteora Blues et Purified by the Fire sont enfin deux bons pastiches (respectivement de ballade grunge à retardement à la Smashing Pumpkins et de Trip Hop). Et les textes ? Pas de quoi fouetter un Ray Davies ou même un Prince. Mais soyons honnêtes : Yves Tumor a la chance de pouvoir chanter dans une langue décrite par Jean-Louis Murat comme dotée de sonorités plus mélodiques que la langue de Molière. Et qui pour cette raison est selon l’Auvergnat moins exigeante rayon raffinement d’écriture que la nôtre.

Au finish, l’album au titre aussi difficile à retenir que ceux de certains classiques d’Hubert-Félix Thiéfaine est un assemblage imparfait trouvant l’arrache son équilibre. Il serait post-rock, non au sens Tortoise… mais comme certains films ou bouquins sont post-modernes. Mais comme tous les bidules post-modernes réussis il fonctionne aussi sur le terrain d’un plaisir direct. Il est donc quelque part aussi du rock.

Ordell Robbie

Yves Tumor – Praise a Lord Who Chews but Which Does Not Consume; (Or Simply, Hot Between Worlds)
Label : Warp
Date de parution : 17 mars 2023