Gran Torino

affiche_11.jpgAu vu des critiques dithyrambiques, professionnelles ou non, il semble dorénavant acquis que Clint Eastwood, qui fêtera l’année prochaine ses quatre-vingt printemps, soit devenu intouchable, transformé de son vivant en icône hautement respectable dont chaque nouveau long-métrage engendre des torrents de louanges, portant toujours plus le réalisateur de Mystic River au pinacle d’une gloire annoncée. Sans dénigrer ses qualités évidentes de metteur en scène et de directeur d’acteurs, et encore moins une carrière hors normes de par sa longévité tant devant que derrière la caméra – tout juste rappellerons-nous au passage qu’il soutint le candidat républicain aux dernières élections, ce dont l’intelligentsia française très  » obamophile,  » ne semble lui faire aucunement grief – il conviendrait de raison garder et de parler de Gran Torino pour ce qu’il est.

Soit un film d’un classicisme avéré, mettant en scène un vieux réac dont on fait la connaissance à  l’enterrement de son épouse. Ancien soldat durant la guerre de Corée, Walt Kowalski, interprété par Eastwood, est un grincheux patenté, raciste et en rogne contre tout le monde, y compris ses deux fils. Il va sans dire que l’installation de voisins chinois ne le réjouit guère, surtout lorsque leurs conflits avec des bandes locales viennent troubler la quiétude à  laquelle il aspire. Dés lors, les prémisses de l’histoire sont posées et avec elles la suite ô combien prévisible de celle-ci. En effet, le premier reproche à  adresser à  Gran Torino, c’est bien sa prévisibilité, conduisant de surcroît à  un enchainement des séquences par trop mécanique, sans que pour autant les transitions s’opèrent avec subtilité et progressivité. La transformation du vieux con en voisin serviable est à  peine ébauchée. On l’aura donc compris, : la deuxième déception suscitée par le film émane de sa construction sans finesse, de personnages caricaturaux et pas ou peu approfondis, à  l’exception du prêtre Janovich, figure plus travaillée et plus complexe.
Pour l’heure, on notera que Clint Eastwood en fait des tonnes pour jouer au vieux con et peu de clichés nous sont épargnés. S’il est assez surprenant, et somme toute pas désagréable, que Gran Torino fonctionne également sur un humour de situation plutôt bienvenu, il est à  l’inverse autrement plus navrant de voir vers quelle issue il se dirige.

Gran Torino, film testamentaire, ? Cela tombe sous le sens, le cinéaste allant jusqu’à  mettre en scène sa propre disparition, qui vaut du coup pour nombre des rôles qu’il a incarnés et des valeurs que ceux-ci portaient, avec en ligne de mire la liquidation de l’inspecteur Harry. Toujours soucieux de justice et de défendre les fondamentaux mêmes sur lesquels repose la civilisation américaine, Clint Eastwood sait pourtant que la vengeance n’est pas une solution durable, portant en elle les germes d’un recommencement perpétuel. C’est pourquoi est-il alors question de sacrifice, de don de soi dans une séquence au symbolisme franchement hors propos, à  la grandiloquence frôlant le ridicule.
Difficile de remettre en cause la facture classique de Gran Torino. En cinémascope, le film bénéficie de la collaboration du directeur de la photographie Tom Stern, sans doute plus à  l’aise dans les scènes d’intérieur – la visite du Père Janovich à  Walt dans une atmosphère crépusculaire constitue à  cet égard le plus beau moment du film, renvoyant à  Million Dollar Baby.

L’Echange nous avait déjà  paru lourd, entre autres de son trop-plein d’explications. On retrouve ici cette même pesanteur et cette absence criante, pour ne pas dire désolante de la part d’un grand réalisateur envers lequel il est logique d’être exigeant, de subtilité. Gran Torino, dont évidemment on entrevoit bien ce qu’il signifie en terme de transmission et de passage de relais – ici représenté par une chienne et une vieille voiture – demeure trop manichéen et sape à  la base tout effet de surprise. Et une horrible interrogation de venir nous hanter, : le grand Clint serait-il en train de rater sa sortie, ?

Patrick Braganti

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Gran Torino
Film américain de Clint Eastwood
Genre : Drame
Durée : 1h55
Sortie : 25 Février 2009
Avec Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her

La bande-annonce :

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4 thoughts on “Gran Torino

  1. Je demande le droit de publier ma cirtique dythirambique comme tu dirais sur ce film simplement époustouflant, déchirant, du vrai grand cinéma de conteur quoi…

  2. Enfin quand je dis publier ma critique, j’entends bien dans un « pour et contre » :)

  3. Assez d’accord avec toi.
    ceci dit, tu parles de « classicisme avéré » pour ce film, je ne trouve justement pas. Eastwood traite son film par-dessus la jambe, avec le minimum d’idée de mise en scène. « L’échange », son précédent film, bien que loin d’être parfait, possédait justement ce classicisme qui en faisait une oeuvre plastiquement réussie. Ici, c’est presque de la série B, avec des références autobiographiques lourdes. J’espère également que son testament aura une autre allure que ce film…

  4. D’accord avec Jeff pour dire que ce film c’est tout sauf du classicisme, autant le précédent oui autant là pour moi c’est plus une esthétique de téléfilm qu’autre chose.

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