Antichrist

affiche_2.jpgReprésentation charnière du sexe dans l’art, Antichrist de Lars Von Trier pourrait être, grâce à  son cachet unique, l’un des rares films à  questionner la position et l’importance des corps sous la lumière crue. N’oublions pas que toute l’histoire de la peinture est née sur l’engouement pour le nu et la nature, association que Lars Von Trier reprend ici avec une dose de manichéisme.

D’un point de vue formel, le film, naviguant à  la fois entre prétention, provocation un brin gratuite d’une part, profonde et personnelle vision des choses d’autre part, laisse au cinéaste la possibilité de faire ce qu’il veut. Son prologue, à  la limite du mauvais goût esthétique, reste pourtant profondément hypnotisant et prouve l’invention et la virtuosité de Lars Von Trier dans le domaine de la mise en scène d’un moment-phare. Mais la suite, malheureusement, va quitter les bases établies pour se morfondre dans les principes du Dogme, soit un filmage aux lumières naturelles, avec dialogues improvisés, et zooms à  la pelle. Ce qui, sur fond de thérapie et de pessimisme, prend vite l’allure d’un affreux pensum psycho-porno.

Là  où Antichrist est facilement la proie de l’incohérence, c’est dans sa construction ; pourquoi décider de tout filmer dans l’ultime demi-heure de ce règne des morts, et laisser tout ce qu’il y a avant aux mains d’un monteur visiblement rebuté par le sexe? A la fois les nombreuses coupes donnent la désagréable sensation d’un pétard mouillé, alors que la fin plonge on ne sait pourquoi dans les extrémités de la violence physique et morale avec des parti pris de réalisation qui virent au grotesque. Quant à  la prétention du sujet (la forêt s’appelle Eden, les personnages n’ont pas de nom et pourraient très bien s’appeler Eve et Adam, dans une opposition symbolique entre l’homme et la femme à  travers un règlement de compte conjugal), Lars Von Trier s’y impose à  gros sabots l’air de nous dire, : Ecoutez-moi, je vais vous expliquer comment ça marche la vie, la mort, les hommes et les femmes, ce qui rend l’ensemble joliment inabouti. Comme en peignant une toile abstraite sur laquelle chacun peut tirer ce qu’il veut du symbolisme de certains détails picturaux, Antichrist se mue vite en une tambouille sexuelle inachevée, une équation de douleurs physiques sans répercussions, le tout sur fond (léger, car on ne peut pas choquer partout), de métaphysique en grande quantité.

Beaucoup ont dit de Lars Von Trier qu’il empruntait aisément au porno dans cette oeuvre choc. Pourtant, du porno ne reste ici que la maigreur du scénario ; point d’érection en vue, sous l’oeil pervers d’un cinéaste dont l’auto-masturbation a fini par tâcher l’écran. Filmer des sexes sans lumières artificielles, dans le seul but de filmer des sexes, l’intérêt (et le désir provoqué par l’image) en devient rapidement amoindri. Surtout quand ceux-ci sont charcutés, victimes d’un désir sanglant privant l’être humain de tout acte de reproduction et de création (qui invite aussi à  la mort comme le montre le fameux Prologue). On peut ne pas trouver agréable cette expérience de cinéma extrême, intéressante forcément parce qu’elle permet le questionnement, audacieuse aussi parce qu’elle réutilise le sexe de manière juste au cinéma (sauf quand les scènes sont coupées), là  où celui-ci est si souvent censuré. Difficile donc d’émettre un réel point de vue face à  cette masse de symboles vulgaires entrecoupée de quelques séquences d’une grâce olympienne.

L’abstraction domine jusqu’au débordement, laissant place à  un mysticisme fumeux et à  une cohérence zéro. Le bordel est à  la fois visible dans la construction générale, mais aussi dans la mise en scène, séparée entre deux styles peu complémentaires (Dogme, sur-esthétisme), et dans la débandade cruelle de corps amochés. Et enfin, bordel dans l’utilisation inattendue d’éléments surnaturels qui viennent achever toute crédibilité ; un renard qui parle comme dans une fable de La Fontaine, l’apparition animale après les séquences de castration, etc… Reste Willem Dafoe, saisissant et sculptural, et Charlotte Gainsbourg, qui aime exposer, et exploser, son sexe sous le regard attentif de tout bon spectateur mâle pour lui faire ressentir une culpabilité bien désagréable. Son Prix d’interprétation cannois sonne plus comme un règne et un coup de pouce au métier d’actrice porno dont Clara Morgane et les autres pâtissent depuis leur départ, plutôt qu’à  un véritable rôle de composition. L’engouement physique de l’actrice pour son personnage tient de l’exhibitionnisme forcené, tout comme Lars Von Trier aime cadrer les bites de ses rêves dans un déluge psychédélique de Bien, de Mal, d’hommes pas gentils, de femmes divines (ou diaboliques, suivant ce que l’on y voit), pour y laisser naître tous ses fantasmes refoulés.

Rudement mal embouché, Antichrist, dans sa tentative lascive et lubrique de tout montrer, aurait voulu en écoeurer plus d’un. Mais le ratage du trop-plein, du chaudron mal rempli de considérations humaines étalées sur le divan, finit par anéantir tout le film, et il ne reste de ces séquences gentiment démentes qu’une attachante volonté de mal faire, noyée dans l’ennui. Un film mal élevé et pluvieux, plus mignon que véritablement vomitif en ce qu’il montre et qui, de coît en coît, finit par confondre les trous.

Jean-Baptiste Doulcet

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Antichrist
Film européen de Lars Von Trier
Genre : Drame, horreur
Durée : 1h44
Sortie : 3 Juin 2009
Avec Charlotte Gainsbourg, Willem Dafoe…

La bande-annonce :

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