Yo La Tengo – The Stupid World : Feedback nocturne

Les vétérans de l’indie-rock américains signent un remarquable retour avec The Stupid World. Un seizième album dans lequel Yo La Tengo affiche la volonté d’en découdre et de tirer un bilan somme toute anxiogène de notre Monde actuel.

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© Photo Cheryl Dunn

Depuis leurs débuts en 1984 à Hoboken (USA), Georgia Hubley (voix, batterie), Ira Kaplan (voix, guitare) et James McNew (basse, orgue et chœurs depuis 1992) sont restés fidèles à une vision toute particulière de la musique contemporaine américaine en lui conférant des saillies expérimentales. Expérimentés, les musiciens de Yo La Tengo le sont, mais conservent cet appétit pour l’improvisation et la simplicité. Enregistré, mixé et produit chez eux, The Stupid World sonne comme un retour aux sources. Les guitares passent du shoegazing low-fi à l’acoustique, la batterie métronomique et feutrée – comme celle de Brad Naish de The Wipers sur l’extraordinaire Youth Of America – ne s’embarrasse pas de complexité, la basse gère l’espace et les voix du trio font toujours allégeances à un vague sentiment mélancolique, incarnées par la dualité parfaite du couple Hubley et Kaplan. L’ambiance de l’album ne change pas trop des précédents disques notamment Painful (1993) et I Can Hear The Heart Beating As One (1997).

Yo La Tengo – This Stupid World 

Le voyage au bout de la nuit s’impose dès le premier titre. Sinatra Drive Breakdown, soit 7’25 de saturations et de larsens sur des rythmiques minimalistes, s’apprivoise grâce aux voix limpides et décalées. Hypnotique, tribal et partageant la même durée, soit approximativement 7’28, This Stupid World donne son nom à l’album et, en bonne machine noise, va explorer le filon indus empreint de vaudou. Miles Away allonge ses 7’30 de contemplations grâce à l’appui mélodique et fantomatique de la basse de James McNew, pendant que Kaplan pose pudiquement des mots. Le feedback, habilement maitrisé, conforte une ambiance nocturne toute cinématographique.

Le déclencheur émotionnel fonctionne sur Fallout qui renoue avec une mélodie élastique soutenue par des chœurs discrets, qui laisse à penser que Yo La Tengo est le plus grand groupe du monde. Sans effets de styles, le groupe d’Hoboken sonne low-fi tout en étant audible et réconfortant. L’ombre discrète du Velvet Underground est bien présente sur Aselestine. Un rire de Georgia Hubley et le titre embraye sur une ballade rythmée où sa voix possède toujours cette caractéristique qui mêle délicatesse et douceur. Quelques accords de claviers, des bandes inversées et des congas s’animent sur l’inquiétant Until It Happens. Des cloches mystiques et une contrebasse boisée posent l’ambiance. Cool, mais résignée l’ambiance.

Le paysage nocturne défile sur Tonight’s Episode et c’est le bassiste qui se colle au chant. Le krautrock en apnée et le folk bourdonnant se tiennent autour d’un groove au déhanché salutaire. La ville s’éloigne sous des lueurs aux contours floues alors qu’Apology Letter recherche la perfection mélodique que quelques solos minimalistes viennent déglinguer. A peine dérangé par la violence des néons, un carillonnement clôt Brain Capers. Et signe la fin de la virée noisy-pop.

En choisissant comme titre The Stupid World, Yo La Tengo affiche la volonté d’en découdre et de tirer un bilan somme toute anxiogène. « Vous vous sentez seuls, les amis sont tous partis » chante Hubley alors que, sur le titre éponyme, Kaplan enchérit « Ce monde stupide, ça me tue. Ce monde stupide est tout ce que nous avons ».

Mathieu Marmillot

Yo La Tengo – The Stupid World
Label : Matador Records/ Beggars
Sortie : 10 février 2023