« L’Enclave », de Benoît Vitkine : les illusions perdues

Après deux polars très réussis, Benoît Vitkine, correspondant du Monde à Moscou et lauréat du prix Albert-Londres en 2019, revient avec un court roman qui se déroule à un moment charnière de la récente histoire russe : l’été 1991, alors que l’URSS s’écroule. L’Enclave s’éloigne du roman noir, s’impose malgré tout comme un nouveau livre sur le chaos du monde.

BENOIT VITKINE
© Constant Formé-Bècherat

Avec Donbass (2020) et Les Loups (2023), ses deux précédents livres, Benoît Vitkine avait choisi le polar, matériau narratif idéal et malléable pour parler du désordre qui règne autour de nous. Le journaliste, grand connaisseur de la Russie et de l’Ukraine, s’y révélait être un romancier capable de construire des intrigues efficaces et instructives, tout en évitant l’écueil majeur de ce type d’entreprise, le didactisme.

L'enclaveSon nouveau livre, L’Enclave, se distingue des deux précédents romans mais s’insère parfaitement dans le projet romanesque de l’écrivain. S’il délaisse le polar, Benoît Vitkine poursuit son exploration de l’histoire récente de la Russie, sans doute pour nous permettre de mieux comprendre ce qui se joue actuellement à l’est du continent européen.

L’Enclave commence par la libération d’un jeune prisonnier : Le Gris, c’est ainsi qu’on le désignera pendant tout le roman (ou presque). Il s’apprête à sortir de prison après avoir purgé une peine dont on ne découvrira que progressivement la raison. Il décide de rentrer chez lui et c’est en marchant qu’il va effectuer le long trajet qui le sépare de la ville de son enfance, où l’attendent sa mère et, peut-être, sa petite-amie. Cette intrigue assez mince – l’errance comme point de départ de l’initiation du personnage – se révèle vite passionnante en raison du contexte historique choisi par Benoît Vitkine. En effet, le romancier situe son récit à un moment décisif de l’histoire de la Russie. Le Gris sort de prison en plein été 1991, alors même que l’URSS est en train de s’écrouler. Le pays qu’il (re)découvre est bien le sien, mais il ne le reconnaît pas pleinement. Beaucoup de choses ont changé ou sont en train de changer et souffle alors sur la Russie un vent d’espoir que Le Gris ne comprend pas tout à fait. La géographie du roman a, elle aussi, une importance considérable puisque le parcours du personnage se déroule du côté de Kaliningrad, ville enclavée, à proximité de la Pologne, de l’Europe occidentale.

Le récit suit donc ce personnage qui avance et progresse au gré des rencontres et des péripéties qui se dressent sur son chemin. Ses interrogations, ses doutes, sa soif de liberté mais aussi d’aventures le mènent souvent sur des chemins de traverse qui permettent au romancier de dépeindre avec justesse les lieux et le contexte de cette quête initiatique.

On le voit, le roman de Benoît Vitkine est une invitation à se plonger dans l’histoire récente de la Russie, et l’on perçoit aisément l’attachement de l’auteur pour ce pays et son peuple. Au-delà de sa parfaite connaissance de la région, Vitkine semble vouloir rendre hommage à ces hommes et ces femmes dont les espoirs ne cessent de se confronter à une réalité douloureuse. On le sait, les rêves de prospérité et de liberté des personnages croisés par le Gris seront vite déçus par des années 90 qui ne concrétiseront pas vraiment ces aspirations.

Pourtant, c’est bien la liberté qui est au cœur de ce roman. L’errance du Gris, les multiples obstacles qui jalonnent son parcours jusque chez lui sont une métaphore évidente de cette quête de liberté à laquelle semblent aspirer tous les personnages du livre et le pays tout entier.

L’Enclave est donc un bref roman très réussi, sans doute le plus abouti d’une œuvre en pleine construction mais qui passionne un peu plus à chaque nouveau livre.

Grégory Seyer

L’Enclave
Roman de Benoît Vitkine
Éditeur : Les Arènes
192 pages – 18 €
Date de parution : 11 janvier 2024