« La Faille », de Blandine Rinkel : Famille, fuyons !

Dans son précédent livre, Vers la violence (Fayard 2022), Blandine Rinkel s’interrogeait sur la transmission de la violence à travers la figure du père, cruel et intransigeant. Cette fois-ci, elle s’éloigne du roman pour proposer un texte hybride mêlant récits autobiographiques et réflexions de type essai, qu’elle espère à la fois intime et partageable.

Blandine Rinkel
© Pauline Darley / Le Crime

« Quand j’écris famille, allez savoir pourquoi, je mange le m – on lit faille. Faille vient de faillir, littéralement manquer. Désigne aussi un point faible, un défaut, une rupture dans le raisonnement ».

La famille est donc au cœur du texte. Ou plutôt la question de la norme, la famille, plus petite cellule politique, étant la première matrice du normal et de l’anormal avant que la société ne prenne le relais. Blandine Rinkel se dénude totalement en dévoilant son parcours, depuis l’enfance, qui l’a conduit à s’extraire du carcan familial normatif pour exister dans une vie alternative, avec l’indépendance comme seule boussole, la peur de l’enfermement chevillée au cœur.

la faille« Les maisons ont parfois des airs de donjon. On s’y retranche ; on s’y défend. On y observe des personnes qu’on aime, des opposants ou des fantômes, et par la lucarne le soir, on contemple, en silence, le lac qui a gelé. »

Elle raconte son goût de la fugue et de l’existence vagabonde avec une sincérité qui n’élude aucun détail tabou sur les épreuves qu’elle a connues. Et étonnamment sans une impudeur qui pourrait donner l’impression au lecteur d’être un voyeur en surplomb. Blandine Rinkel trouve le bon équilibre entre ton incisif et émotions subtiles, sans doute parce qu’elle entrecroise dans son récit intimiste à la première personne de nombreuses références culturelles.

« C’est à elles que je m’intéresse dans ce texte, aux personnes qui, par instinct, sont rétives aux normes domestiques. Celles qui se sentent fauves, désaxées, intimement exilées. Celles que le groupe a rejetées, ou qui les rejettent, pour des raisons complexes, intimes, politiques et parfois métaphysiques – tout à la fois. (…) Toutes celles qui doivent couper pour rester vivantes. »

Ainsi elle parle de littérature (Maggie Nelson, Edouard Louis, Richard Ford, Lionel Shriver, Virginie Despentes etc), de cinéma (les films Canine de Yorgos Lanthimos, Festen de Thomas Vinterberg, Une femme sous influence de John Cassavetes, Nomadland de Chloé Zhao entre autres). Sans doute, y a t-il trop de références développées car, quelle que soit la qualité de ses analyses, les passages les plus forts – et qu’on attend de retrouver – sont ceux où Blandine Rinkel parle d’elle, de sa mère, de ses rencontres, de sa vie amoureuse.

« Parfois, je me demande pourquoi j’écris ce texte – pourquoi je me penche sur ce cafard, dont j’ai tant de mal à parler avec celles et ceux qui se disent épanouis dans leur vie familiale, et dont je sens qu’ils ne veulent pas qu’on parle de ça. Après tout, c’est vrai, pourquoi fragiliser ce qui fonctionne ? Pourquoi raviver le souvenir d’une disparition, désigner l’ombre derrière le château ? »

La Faille est un texte stimulant car il avance avec humilité, c’est un livre fébrile qui tremble, hésite, doute. Il pousse à la réflexion, ouvre des brèches par le mouvement intellectuel et émotionnel qu’il impulse, sans jamais asséner de certitudes péremptoires, sans aucune arrogance. Juste sincère.

Marie-Laure Kirzy

La Faille
Récit de Blandine Rinkel
Editeur : Stock
239 pages – 20€
Date de parution : 15 janvier 2025

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