Game Of Thrones – saison 4

Retour (très) personnel sur ce qui fait la force et la singularité de cette épopée fantastico-médiévale. Singulière et atypique donc, au point de peut-être laisser le téléspectateur de côté…

Game Of Thrones - saison 4 HBO affiche

Game of Thrones est donc devenue l’une des séries les plus regardées, téléchargées, commentées de l’histoire récente des séries diffusées à  la télévision. Et sa quatrième saison, uniquement diffusée sur HBO aux USA à cette date, ne déroge pas à  la règle, et devient la série la plus matée illégalement de l’histoire des Internets. Qu’est-ce qui justifie donc cet engouement mondial, traversant les générations, les goûts de chacun, et les cultures ?

ATTENTION / Légers spoilers sur les saisons précédentes à  partir de maintenant…

A mon sens, la grande force de cette épopée de fureur et de sang demeure dans sa liberté quasi-outrée à  dépasser les limites du genre »série TV » qui s’étaient naturellement posées jusque-là  : des saisons qui s’achevaient par un cliffhanger mais qui enrobaient une logique narrative sur l’ensemble de ladite saison ; des personnages forts, principaux puis secondaires, pour lesquels le téléspectateur n’avait aucun mal à  s’identifier, ou à  adorer/détester de copieuse manière ; des scènes marquantes ou d’anthologie mais qui restaient dans une certaine mesure de violence, de malaise ou d’érotisme acceptables à  la télévision. Tout cela, les créateurs de GOT (abréviations communément admises, je vais citer la série de cette manière par la suite) n’en ont cure : du gore à  outrance, des scènes de cul à  la limite de la pornographie, et surtout, des morts à  la chaîne, attendus ou inattendus… provoquant ainsi l’hystérie des fans de la série (fascination, excitation ou dégoût de voir leurs personnages préférés décapités en une seconde).

Au jeu du »non, ils ne vont pas oser » GOT dépasse donc l’entendement : jamais aucune série n’avait ainsi bousculé les codes du héros principal / personnages secondaires : personne ici n’est à  l’abri de passer à  trépas (à  l’écran comme sur les contrats reconductibles des acteurs), à  tel point qu’une rumeur annonçait l’an passé que dès qu’un personnage était aimé des fans sur le Net, sa vie scénaristique était en danger… Et donc, si d’autres séries paraissent plus réussies côté mise en scène / interprétation comme Breaking Bad, Six Feet Under, etc… toujours indépassables, elles sont ici un peu laissées dans l’ombre par le culot sexy et diabolique de l’épopée hystérique de ce jeu des trônes.

Ensuite, autre grande force, c’est de malmener son public par des saisons décousues et presque bipolaires : si les épisodes s’enchaînent, ils ne se ressemblent jamais. Certains sont très ennuyeux – souvent les milieux de saisons, certains sont d’une énergie ou d’une bravoure peu communes même dans des films hollywoodiens (exemple : le massacre de la famille Stark à  la fin de la saison 3, ou la bataille sanglante du Mur du Nord à  la quasi-fin de la saison 4). Immense qualité, parfois excitante, parfois frustrante, à  laquelle il faut rajouter des données un peu bizarres à  ressentir : les méchants nous plaisent (le roi Joffrey, petit con odieux, reste fascinant), les beaux et gentils nous ennuient, les freaks (le nain Tyron Lannister) arrivent à  être sensuels et désirables… GOT bouleverse ainsi la typologie des héros de séries, où personne ne sort a priori indemne de ce jeu de territoires – et de massacre. Pour la petite histoire, lors d’une interview dans le nouveau magazine des séries Binge watching, un des acteurs a expliqué que seuls trois acteurs/actrices avaient un contrat jusqu’à  la fin des 7 saisons que va compter l’épopée. Les autres étaient renouvelés au cas par cas…

Petit revers de la médaille : et si, à  force de twists improbables, de massacres de personnages adorés ou fers de lance de l’action, de coups d’éclats scénaristiques, les créateurs de GOT ne finissaient pas par mettre le téléspectateur sur le côté, en marge, , en l’anesthésiant d’émotions et de passions pour finalement le rendre parfaitement distant de ce qui se déroule à  l’écran ? En effet, le propre du consommateur de séries jusque-là  résidait dans sa propension à  s’identifier aux personnages, même les plus détestables (rappelez-vous Dexter, tout le monde avait de l’empathie pour cette ordure criminelle…) et donc de se passionner pour la destinée de celui ou celle sur lequel il avait jeté son dévolu. Ici, tout est chamboulé, remis à  plat, voire neutralisé : impossible pour soi de s’attacher à  quelqu’un sans risquer la tristesse de le voir disparaître l’épisode suivant. De fait, le téléspectateur aura tôt fait de prendre de la distance avec ça, et de finir par regarder ce brillant spectacle télévisuel de manière très impersonnelle, sans le porter à  son pinacle personnel de »grande série préférée que j’adore plus que tout.. »

Attention donc à  l’avalanche de climax et de fausses pistes scénaristiques qui troubleront, décevront ou annuleront le potentiel émotionnel qui met le public en connivence avec sa série chouchou… Mais pour l’instant, pas de »Winter is coming » en vue pour l’aficionado de GOT. , Le plaisir reste assez immense et tordu pour ne pas encore se détourner de ce qui fait la série sensationnelle des années télé 2010…

Jean-François Lahorgue

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Game of Thrones
Série créée par David Benioff et D.B. Weiss
d’après la saga littéraire éponyme de George R.R. Martin
4 saisons de 10 épisodes chacune
Diffusion (US) sur HBO depuis 2010