Lidwine de Royer Dupré – Nocturne ou de l’idée d’une féerie intérieure

Jusqu’à il y a peu, on ne connaissait pas le travail de Lidwine de Royer Dupré, un univers à la fois fantasque et limpide mais aussi hanté comme une forêt frissonnante. Pour preuve, l’écoute de l’EP Nocturne où la dame s’inspire ici de La Normandie merveilleuse, un livre de contes composé par Amélie Bosquet et sorti en 1845. Coup de cœur pour un disque habité.

Crédit Photo: R.T.Martin

La féerie n’est plus de ce monde. On peut bien claquer des mains avec toute l’énergie du désespoir pour ranimer et perpétuer la vie des créatures des forêts. On peut bien battre la campagne, on ne croisera pas le moindre Troll, pas même dans ses territoires de prédilection, l’Islande  ou l’Ecosse. On n’entend plus les chants plaintifs des loups Peyrou sur les hauteurs des Causses. Même ces collecteurs de contes se sont éteints, eux qui parcouraient les chemins noirs de nos campagnes pour recueillir la parole légendaire locale. Même Claude Seignolle s’en est allé… Lentement, inexorablement la féerie perd du terrain.

Fort heureusement, il existe encore des voix sensibles qui poursuivent cette quête, parfois de manière symbolique et parfois plus littéralement comme c’est le cas avec Lidwine de Royer Dupré. Car à la base de Nocturne, cet EP, il y a la lecture fascinée de La Normandie romanesque et merveilleuse : traditions, légendes et superstitions populaires de cette province, un recueil de contes assemblé par Amélie Bosquet en 1845. Sans doute que comme son aînée, Lidwine de Royer Dupré a compris combien ces vieilles superstitions, même si elles sont négligées, restent pertinentes dans leur poésie et leur singularité au point de traduire quelque chose sur l’être 2.0 que nous sommes. Elle l’a si bien compris qu’elle n’hésite pas à faire évoluer sa musique vers des tonalités plus électroniques encore qu’habituellement.

Auteur de quelques disques bâtis autour de sa Harpe et déjà marqués par un jeu entre ombres et lumières, d’un rapport avec les créatures nocturnes, les fantômes et la dérive, sa musique pouvait évoquer aussi bien la Bjork des débuts, Mùm ou encore Sigur Ros… Tiens.. Tiens, une fois encore l’Islande. Rien d’étrange me direz-vous ? C’est vrai qu’à la vue de la description que je peux vous faire du projet, il est normal de trouver quelques correspondances avec la musicalité de l’île volcanique. Sans doute, quelque chose à comprendre dans cette fêlure rocailleuse de la voix  de Lidwine de Royer Dupré. On pensait aussi à Emilie Simon pour cette même douceur ombrageuse et fantasque, cette impression de sentir du sable qui fuit entre les doigts. Si l’on poussait le regard plus loin en arrière, remonterait à la mémoire l’ombre d’Anneli Drecker des regrettés Bel Canto, si l’on revenait plus prés de nous, s’imposerait fatalement le nom de la trop rare Nathalie Réaux alias Pagan Poetry.

Mais toutes ces références, c’était avant. Avec Nocturne, Lidwine de Royer Dupré bouscule ses codes. Sans doute que ce passage à la langue française y ait pour beaucoup dans ce sentiment d’ouverture de son univers à d’autres couleurs. De cette langue, elle gagne en rapport à l’intime mais aussi en singularité. Sans doute travaillée par le souvenir de ses marches dans ces chasses normandes, Lidwine de Royer Dupré travaille un matériau percussif et palpitant pareil à un deus ex machina. prenez Sabbat et son inquiétude païenne, une invitation à se débarrasser de  l’asservissement de la lumière quand Fées ne sait jamais choisir entre crainte de la nuit et grande cavalcade de l’esprit. On croise là Shara Worden acoquinée à Dominique Dalcan en pleine Tempérance.

L’électronique de Lidwine de Royer Dupré ne perd jamais de son humanisme, on sera tour à tour saisi par la supplique froide de Chasse Proserpine et le long feulement de chats forcément noirs. On baigne dans les ambiances romantiques mais aussi celles du roman gothique. perdus dans les pages du Carmilla de Sheridan Le Fanu. En Bretagne, on donnerait le sobriquet de  Kannerezed noz à Lidwine de Royer Dupré, de lavandière de la nuit Elle serait une banshee, une revenante qui ,en prenant son temps éternel, laverait avec méticulosité le linceul qui nous est destiné. Ouvrant ses humeurs au vent et à l’esprit tempête, elle invente un folklore déraciné, là un accordéon diatonique, ici quelques frissons comme diffusés d’un écho de Son Lux. L’EP hésite entre onirisme, animisme et déambulation sans but bien fixé. Ce qui est remarquable tout au long de ces six titres, c’est le caractère fort et empathique qui s’affirme ici porté par quelques field recordings que l’on imagine issus de ses ballades nocturnes.

Autant le noyau du disque est torturé et hanté, autant la chute avec Mort du Dragon et Aube, même si ces titres restent marqués par la peur du trop tard, du peut-être, de la croyance possible mais déçue en l’étoile, on sent malgré tout la possibilité d’une ouverture, d’une possible sortie  vers plus de lumière.

A travers des titres chargés d’un mysticisme qui ne dit jamais son nom, Lidwine de Royer Dupré nous enchante et l’on parvient à la fin de ce périple nocturne (car il s’agit bien d’un voyage), à la naissance de l’aube en cette heure bleue entre chien et loup. Ce moment indécis entre nuit et jour qui rend le monde plus imprévisible.

Dominique Blondeau dit dans Que mon désir soit ta demeure :

La féerie est un monde vivant que l’imagination de l’enfant est seule capable de créer à sa démesure.

Et si Lidwine de Royer Dupré nous rappelait finalement que même dans nos vieux corps cabossés sommeillaient encore des rires d’enfants et des rêves débordants qui remontent à la naissance de la peau ? Me revient alors ce souvenir de cette balade du côté de la Pointe du Toulinguet sur la presqu’île de Crozon dans mon Finistère natal… Surplombant la plage en contrebas, il y a cette vieille ruine du manoir de l’écrivain Saint Pol Roux… Il y a toujours dans les ruines une forme de suggestion, de suspension qui invite à deviner dans des formes avortées une autre réalité parallèle. Ce jour-là, dans un des recoins d’ombre qui habitent les murs décrépis,  dans ce minuscule neverland, j’entendis comme un chant, peut-être le vent, peut-être une fée qui s’animait car on se rappelait de sa présence… Peut-être la voix de Lidwine de Royer Dupré, qui sait ?

Lidwine de Royer Dupré – Nocturne
Sortie le 20 juin 2019
Label : Autoproduction