Primavera Sound 2015 : du soleil, du rock, des larmes

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Retour sur trois jours catalans passionnants, pleins d’émotion mais aussi un peu de frustration, qui prouvent en tout cas que le Primavera Sound de Barcelone est (probablement) le meilleur festival européen de rock.

Avant toute chose, il convient de souligner un fait assez rarissime dans un festival de musique, surtout de cette envergure : à Primavera Sound, on attend pas. A part ses artistes favoris, aux premiers rangs contre les grilles, les queues n’existent pas, ni devant la centaine de stands de bière ultra-sponsorisée du festival, ni devant les stands de bouffe variée, ni surtout devant l’échange de tickets pass/bracelets, qui en général te fait perdre une bonne heure à chaque début de marathon musical. Que nenni ici, en 10 minutes, tout était plié, « bracelisé », ne restait qu’à appréhender les lieux (gigantesques) et la programmation (gigantesque aussi) en organisant au mieux l’emploi du temps ultra-chargé et forcément frustrant : je suis pas un robot avec option téléportation d’un bout à l’autre des scènes en 2 secondes, je suis pas bonze et être à deux endroits en même temps, et je n’étais pas seul (s’adapter au rythme de chacun, et leurs goûts évidemment).

Malgré tous ces légers obstacles, ce long week-end fut une expérience sonore assez inoubliable. Détails jour par jour.

Jour 1

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D’entrée, on rate Panda Bear, programmé à un horaire indécent (17h30 !) pour se rapprocher très près de Benjamin Booker qui lance les hostilités en plein soleil rasant dès 20h. Le temps chaud déclinant convient parfaitement au set un peu foutraque mais bien rock et blues de ce jeune fifou qui s’évertue à dynamiter ses chansons habitées. Pas trop aidé par un bassiste à la cool et un batteur décalé, il s’en sort pourtant avec les honneurs lors de morceaux énergiques ou de moments habités tels une gigue cajun convaincante, prouvant ainsi son origine d’américain du bayou (Louisiane) et l’adage Smetien que « toute la musique qu’on aime, elle vient de là, elle vient du blues ». Encore un peu de maturité pour le jeune rockeur, et les stades devraient bientôt gueuler ses chansons d’une seule voix.

Grignotage d’un sandwich américain pas bon mais qui cale complètement (genre trois steaks qui débordent d’un quart de baguette de pain) et l’on s’arrête une petite vingtaine de minutes devant The Replacements, ancien gloire de l’après-punk dont le rock semble s’être bien assagi, mais le son est super bon, « bien torché » dirait-on sans pour autant prendre vraiment son pied. On préfère s’avancer au maximum – donc savoir sacrifier du temps pour mieux voir et entendre, en langage festivalier – pour le concert d’Antony & the Johnsons. Sur la scène, se préparent les réglages et les sièges pour accueillir un orchestre symphonique avec chef d’orchestre. Tout cela annonce du grandiose.

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Et ce le fut.

Après quelques minutes où une danseuse se mouve doucement sur du quasi-silence (sale impression d’assister à un spectacle de rue pourri) puis le démarrage sur grand écran d’un film conceptuel qui effraie d’emblée (un homme allongé suce les pis d’une truie), Antony arrive et démarre au piano, avec envolée de cordes de l’orchestre, puis sa voix unique, prenante, déchirante, entame I am the enemy : frissons. Qui ne nous lâcheront plus. Comme sa voix d’ailleurs. Et en faisant abstraction d’un long métrage amateur de théâtre no japonais à mi-chemin entre Bioman et Pasolini, mes yeux embués de larmes ne quitteront plus la diva maniérée et ses chansons magnifiques, ses hymnes torturés et tristes (« I am so happy, so hit me »), et ses déjà-classiques you are my sister ou Hope there’s someone qui s’achèvent dans des moments élégiaques et splendides, menés par un orchestre au son parfait, et par ce(tte) chanteur(se) décidément unique, qui font passer du bonheur simple à la tristesse la plus marquante,  avec sourires et larmes qui coulent confondus. Une épreuve physiquement et émotionnellement parlant, mais un moment inoubliable où on se prend une belle claque dans la gueule.

Forcément, passer après ce moment merveilleux, c’est pas évident. Mais quand, en plus, c’est nul, la sentence est sans appel. The Black Keys déçoivent complètement : le son est pourri, le batteur semble bourré, le duo fonctionne mal et les tubes s’enchaînent sans entrain, sans passion, sans même avoir envie de bouger ses fesses. Le leader Dan Auerbach avoue, comme une sombre excuse « rejouer pour la première fois depuis l’accident de Pat Carney » mais on s’en fout, rien n’est en place, tout se joue petit-bras, en lo-fi, et les rangs s’éclaircissent peu à peu après chaque morceau du duo américain qu’on a aimé aimer. Le point noir du festival, assurément. Et se dire qu’à cause d’eux, on loupe la deuxième moitié du concert de Spiritualized ou Tyler, The Creator

Après ça, c’est un peu la traversée du désert, qui permet par contre d’appréhender le lieu immense et désincarné du festival, bâti sur les « ruines » très contemporaines de l’Ancien Forum universel des cultures, face à la mer, dans une superficie bétonnée et futuriste prenantes. On découvre d’autres scènes plus petites, mais qui accueillent des live inécoutables (l’électro agressive et peu confortable de Simian mobile Disco) ou un peu ennuyeux (le joli son de Chet Faker qui convainc moyen pour y rester). La soirée s’achève près de la sortie (flemme de faire encore 20 minutes de marche pour découvrir James Blake) et devant la grosse blague du Primavera Sound :  Sunn o))))

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Le duo, tout de déguisement sataniste vêtu et sous un brouillard fumigène complet, démarre en faisant vrombir une machine comme si on se plaçait sous un avion déclenchant ses réacteurs de démarrage. Boule Quiès d’urgence, en attendant patiemment que ça démarre. Peine perdue, cela avait démarré, et ne s’arrêtera donc jamais de vrombir. Premier quart d’heure, un tympan en moins, une seule « note » jouée, le corps en charpie par cette « symphonie apocalyptique » (sic) d’après le très sérieux livret du festival. On quitte rapidement les lieux, mais on ne quitte pas vraiment le groupe, tant le bruit de drone metal assourdissant remplit tout le site, venant même gâcher les autres concerts pourtant fort loins. Le bourdonnement a raison de nous, on quitte cette corvée sonore, abasourdis, tels des zombies de Walking Dead, au milieu d’une faune urbaine sonnée par ces deux notes infrabasses (oui, deux seulement, en 25 pénibles minutes) qui ne quittent plus le cerveau en bouillie.

Une première journée mi-figue, mi-raisin, où surnage la beauté du set d’Antony au milieu de concerts moyens, voire inaudibles. On espère les deux jours suivants plus passionnants, ils le seront grandement.

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(à suivre…)

Jean-François Lahorgue