5+5 = Vincent Stockholm (Early Spring Horses)

A l’occasion de la sortie du superbe premier album de Early Spring Horses, on a demandé à Vincent Stockholm de nous parler de ses disques préférés.

Vincent Stockholm

Vincent Stockholm a sorti fin 2016 What The Wood Whispers To Itself, premier album de Early Spring Horses dans lequel la voix et le piano tiennent les premiers rôles. Un disque profond et poétique, comme une porte d’entrée vers un univers étrange et merveilleux.
Pour aller plus loin encore, on a demandé à Vincent d’évoquer les disques qui comptent pour lui. Et en plus d’être un compositeur talentueux, c ‘est également un un amateur de musique passionné et passionnant !

5 disques du moment :

Cross Record – Wabi-Sabi
Un de mes albums de chevet du moment, on pourrait croire à une sorte de Cat Power plus dark, j’ai découvert le couple avec la vidéo de High Rise et j’ai vraiment craqué sur l’album, très original. Il sont auto-produits et disposent d’un petit studio d’enregistrement « Moon Phase Ranch » dans lequel ils font tout. Je m’étonne qu’ils ne soient pas plus connus, un peu comme les polonais de Trupa Trupa, bien qu’avoir fait la première partie de Shearwater dernièrement devrait leur ouvrir un auditoire plus large. Je crois d’ailleurs que Jonathan Meiburg les a pris pour produire le nouvel album de Shearwater à sortir. C’est difficile pour moi de décrire leur univers sonore très créatif, une voix douce et susurré ou aérienne avec parfois des guitares lourdes et noisy en fond. Un univers en creux, qui laisse de côté les revivals actuels et qui ne cherche que sa propre voie pour s’accomplir. Il y a là quelque chose qui me touche profondément.

Anna VonHausswolff  – The Miraculous
J’ai découvert Anna VonHausswolff sur le tard avec cet album (bien que sorti en 2015), il y a quelques mois, et depuis ça ne me quitte plus. Ses précédents albums au piano me parlaient beaucoup moins. J’aime ce qui jaillit de cette fille, une sorte d’énergie et de puissance assez extraordinaire. On pourrait penser que sa musique est sombre mais j’ai l’impression qu’elle est juste puissante. Elle utilise des schémas et des progressions assez classiques comme on entendait sur Dead Can Dance à la fin des années 80 mais ça reste cependant suffisamment original pour capter l’attention. Il est vraiment intéressant de voir ce qu’elle va produire dans l’avenir.

Sufjan Stevens – Carrie and Lowell
J’ai trouvé cet album assez passable à la première écoute. Et puis Sufjan Stevens, parfois, a tendance à brouiller énormément les cartes, j’ai même pensé que l’histoire de sa mère et de ses parents, telle qu’elle était présentée dans l’album, était une histoire inventée, juste pour la promo. Je me méfie de ce que les médias inventent parfois. Passé le coup de projecteur de la presse sur cet album, je m’y suis remis lorsque mon amie Dawn Landes m’a annoncé qu’elle partait en tournée avec lui. Je suis alors entré dans l’album comme on tombe au fond du puits … j’aime beaucoup son enregistrement très DIY, presque réalisé dans sa cuisine, tout en étant très intime et personnel.

Anohni – Hopelessness
Typiquement un album que je ne devrais pas aimer. Le son y est extrêmement compressé, la musique électronique n’est pas celle que j’aime écouter, la production est un peu banale, même l’album de Halsey (Badlands) est mieux fichu. Pourtant, il a tourné quelques fois sur ma platine. Son discours violent et écologique me touche forcément, la voix d’Antony est toujours là, le fond et la forme finalement sont complémentaires. Mais je sais que je l’oublierai.

Moderat 2016
C’est top pour danser. C’est organique, ça me fait un effet épidermique. Et puis Lady Gaga n’a pas encore découvert ce groupe, elle se rêve encore en Alanis Morissette.

5 disques pour toujours :

Cocteau Twins – Victorialand
Sorti en 1986, j’aurais pu choisir n’importe quel disque des Cocteau Twins tellement j’aime ce groupe. Victorialand est un album d’une extrême délicatesse, tout en évocation, l’atmosphère y est aérienne et la voix de Liz Frazer tout en finesse. Les années 80 sont riches en diversité, c’est une époque où tout est possible, où les maisons de disques investissent encore sur la créativité. Il faut se souvenir qu’il s’est classé dans le top 10 dans des charts indépendants ! Pour moi, c’est un album magique. Il me suffit d’entendre les premières secondes et je suis ailleurs, je voyage. C’est simple d’être créatif avec une simple reverb, un phaser, et un delay probablement un eventidesp2016 (un processeur d’effets de la fin des 70’s), pas besoin de pro-tools et de ces millions de plugins. Victorialand c’est l’invitation au voyage, à la rêverie …

Virginia Astley – Promise Nothing
J’ai découvert Virginia Astley par hasard avec un titre qui s’appelle Arctic Death présent sur cet album. Ce disque est sorti à la même époque que This Mortal Coil, It’ll end in tears, autre album culte des 80’s grâce à la voix magique de Liz Frazer. Dans Promise Nothing, je retrouve tout ce qui me plaît, une musique travaillée en apparence simple, pop mais originale, une identité unique forte, une musique champêtre mais inquiétante. On a du mal à imaginer que Love’s a lonely place to be, un des titres de l’album, est arrivé dans le top 10 en Angleterre. Ce serait inimaginable aujourd’hui ! J’aime son apparente naïveté, c’est probablement cet aspect qui a rendu Virginia Astley populaire en Asie et plus particulièrement au Japon. Pour moi, écouter les albums de Virginia Astley c’est comme déguster un brandy au coin de la cheminée : un vrai plaisir. J’adore aussi l’album From Gardens Where We Feel Secure, plus ambient et moins pop mais totalement intemporel. Elle me fait penser à un autre artiste, Roger Eno (le frère de Brian), un pianiste  qui a produit quelques albums d’une beauté simple et surprenante. J’aurais pu le mettre dans le top 5 aussi.

Björk – Vespertine
Pour moi c’est le chef d’œuvre absolu, des années après, tu peux écouter et découvrir des détails que tu n’avais pas remarqués auparavant. Extrêmement complet, le travail de Guy Sigsworth, mais aussi de Valgeir Sigurdsson ou encore de Matmos y est pour beaucoup à mon avis. Je n’ai jamais autant retrouvé de plaisir à écouter un album de Björk par la suite. J’ai des rapports conflictuels avec sa musique, autant ses gimmicks et ses efforts pour être la meilleure chanteuse au monde m’agacent, autant son travail sensible et poétique m’interpelle quand il est très pop comme sur Vespertine. J’aime beaucoup moins ses incartades d’inspiration contemporaine. Je ne sais plus si Sjón a écrit des textes pour Vespertine, mais c’est aussi un artiste dans son entourage que j’aime beaucoup. Vespertine est un album dont tu n’as pas à aller chercher les significations pour y prendre du plaisir. C’est une pure broderie, bourrée de trouvailles magiques. C’est le seul album de Björk que j’écoute. La suite m’a laissé indifférent.

Mark Hollis – Mark Hollis
J’ai découvert Talk Talk adolescent, et j’ai été happé par la voix de Mark Hollis. Dans son album solo, il faut tendre l’oreille dès le départ pour pouvoir entendre vraiment ce qui s’y passe, l’amplitude sonore y est large, c’est tout l’inverse de ce qu’on fait aujourd’hui où les maisons de disques t’obligent à balancer la sauce dès les premières secondes sinon l’auditeur zappe. Kate Bush a fait pareil dans son dernier album « 50 words of snow« , le volume y est 20 % inférieur à ce qui se fait aujourd’hui, ce qui t’oblige à tendre l’oreille et à être très attentif. C’est ainsi que tu découvres tout ce qui se passe à l’arrière, tu es obligé de faire attention aux décors, aux couleurs, au souffle… Mark Hollis a une présence vocale totalement unique, douce, et subtile. J’aime aussi beaucoup ses constructions mélodiques cassées, atmosphériques plus que développées. La musique est l’écrin de sa voix. J’aime cet album et Spirit of Eden de Talk Talk plus que tout. Je suis très sensible aux paroles d’un album, les textes de Mark Hollis sont purs, très évocateurs, un peu comme une poésie japonaise, « The color of spring,Immerse in that one moment, left in love with everything » sont les paroles du premier titre, tout est dit. Pure beauté.

Kate Bush – The Dreaming
Un concept album incroyablement riche, qui n’a pas vieilli d’un pouce, porté par une Kate Bush au meilleur de sa forme créative. Sa voix est polymorphe, traitée comme un instrument puissant et magique, qui prend la voix du fantôme ou celle de la femme délaissée ou encore celle de l’aborigène face à l’envahisseur anglais en Australie. Cet album n’a pas marché à l’époque, probablement trop novateur ou original. Pourtant la section rythmique est incroyable, le son est hallucinant, il fallait penser à utiliser des bêlements de mouton en guise de choeur… qui ferait ça aujourd’hui dans la pop ? C’est comme un cauchemar ou un mauvais rêve, rien ne devrait être là, rien n’est cohérent, la réalité y est distordue, comme dans un monde dystopique. C’est une vraie hallucination avec des voix à l’envers, j’adore les voix à l’envers ! Et puis qui est capable de placer dans une chanson en anglais « I am the Concierge, honey » ? Moi ça me rend fou.

décembre 2016

Early Spring Horses – What the wood whispers to itself
Send The Wood Music – novembre 2016