Ooti – Itoo : musique désaxée et jubilatoire

Parfois ce qui stimule la créativité, c’est la complicité entre les musiciens, cette évidence connaissance de l’un et de l’autre. Avec Itoo, ce second disque des finistériens de Ooti, c’est cet exact constat que l’on peut faire.

Vous connaissez sans doute déjà mon goût pour les productions du label Brestois L’Eglise de la petite folie, belle auberge animée par le tenancier Arnaud Le Gouëfflec et sa dame patronnesse, Maëlle. Mais qu’ont donc en commun le susnommé Arnaud Le Gouëfflec John Trap, Delgado Jones, Garden With Lips, Centredumonde, Vallier ou donc Ooti ? Quand on va fouiller dans la discographie de ce qui ressemble de plus en plus à un beau catalogue, on repère deux ou trois évidences. La première étant cette volonté à vouloir expérimenter comme un gamin joue sans priorisation ou snobisme de l’adulte. La seconde étant cette volonté de bousculer la chanson française. La troisième étant cette volonté de voir se mélanger les artistes du label sur les projets des uns et des autres.

Ooti en est l’exemple le plus probant. C’est en effet la réunion de Ooti, de John Trap alias Thomas Lucas (compagnon d’Ooti) et d’Arnaud Le Gouëfflec. Ce qui est d’ailleurs très fort, c’est que l’on retrouve de ce qui fait justement la force des uns et des autres sur ses propres disques tout en faisant un son unique qui n’appartient qu’à Ooti. On retrouve bien sûr la maîtrise des samples de John Trap mais autant pour son propre projet, Thomas Lucas semble vouloir créer une matière utérine presque sourde, autant ici, il tend vers une ligne claire. Arnaud Le Gouëfflec joue avec la langue comme jamais, une écriture frontale mais bien plus à tiroir qu’elle n’y paraît de prime abord.

Ooti avec Itoo tente plusieurs pistes, tour à tour Pop puis Cold ou encore presqu’expérimental. Chaque morceau sonne comme la déconstruction minutieuse d’une structure toujours en mouvement. J’irai marcher dans l’Atlas bascule entre martialité et métronome quand Dans les ondes tend vers toujours plus de clarté mélodique. Itoo est un disque accidenté qui ose les ruptures et l’incohérence. Faire suivre La Quadrature du cercle, promesse presque noise et Mon Ombre est un garçon , aveu presque naïf est plutôt culotté.

Rythmiquement également, il y a un rapport à la saccade, à l’heurté comme ce Femme Brouillard à la dramaturgie affirmée ou encore sur La fille hantée comme échappée d’un vieux Garbage. Rythmiquement toujours, il y a cette dérive qui vient des cassures et des ruptures, ce temps que l’on ne parvient à maîtriser, ce sentiment de malaise dans ne Dort que d’un œil.

Quitte à paraître cliché, il y a sans aucun doute dans l’univers de ces trois-là un rapport à la nuit, aux rêves mais aussi aux cauchemars, parfois le tout dans le même contexte. Que cela soit dans Quand elle est nue ou ce caprice de geek qu’est Mouche. Ce qui est sûr, c’est que l’on vient chercher l’aventure et la digression au sein d’un disque d’Ooti. Pour autant, ne craignez pas ici un disque bidouilleur planquant sa pudeur dans une forme de second degré 2.0. On n’est pas prêt d’oublier le souffle glaçant qui nous frappe à l’écoute de la voix déchirée et en larmes de Tu recevras ma lettre dans tes rêves. On y surprend le Programme d’Arnaud Michniak, le désespoir de Gainsbourg pleurant Birkin.

Itoo est un disque délicieusement déraisonnable, désaxé et jubilatoire à l’image des trois protagonistes. Un disque incommode et incohérent, synonyme ici de grande réussite.

Greg Bod

Ooti – Itoo
Label : l’eglise de la petite folie
Sortie le 20 septembre 2017

Crédits photo : Nora Moreau