Feu! Chatterton et la mutation de L’oiseleur en Oiseau-lyre

« L’oiseleur », un disque comme la virée étrange et poétique dans un XIXème siècle électrique, réinventé à la force de la plume et du poignet, du stylo et du médiator.

feu! chatterton photo
Photo © Claude Gassian

Comment ça ? Mort Thomas Chatterton ?? Le poète maudit Anglais ? Il se serait empoisonné à l’arsenic à l’âge de dix-sept ans, laissé là, oublié de ses contemporains, ce jeune corps amaigri par la faim, allongé sur sa couche, les yeux révulsés et les veines pleines de mort.
Mort ! Chatterton. Depuis 250 piges. Le gamin fou de Bristol repose sous la terre humide de la perfide Albion dans une triste presque-indifférence. Une presque-indifférence !

Feu! Chatterton L'Oiseleur Car en 2012, un groupe de musiciens Parisiens débarque sur les scènes de divers festival (Rock en Seine, les Francofolies ou le Printemps de Bourges) avec pour nom un appel à la résurrection du poète: Feu ! Chatterton, et quelques titres très écrits dont le séminal La Mort dans la pinède et son histoire de dépucelage dans les bois.
Dépucelage global pour Feu! Chatterton: Des prix qui commencent à tomber sur le quintet (Prix Chorus 2014, prix Paris jeunes talents 2014…), les festoches d’été, un EP et un premier album Ici le jour (a tout enseveli) en 2015 salué par la critique.
Dépucelage sauvage, dépucelage électrique également pour un public Rock lassé des « Shakaponkeries » adolescentes et orphelin d’un Bashung parti trop vite, sans laisser de testament.
Une énergie Rock débridée au service de textes travaillés avec soin et originalité. Il n’en fallait pas plus pour que le petit monde du Rock Français secoue les draps vieillis des fantômes de Bashung, Gainsbourg ou Ferré.
Une renaissance de ce Rock Français plein de Dandysme et de belles lettres dans ce magma musical « Rapoïde » et vulgaire. Ici le jour (a tout enseveli) est rempli de promesses et tombe, en quelque sorte, comme un cheveu sale sur la triste soupe variétoche.
Mais souvent les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.
Alors après une attente de trois ans, après une tournée interminable, après les espoirs que le premier album a fait naître dans le cœur des Rockeurs hexagonaux, c’est le moment de se frotter au difficile second album.

L’Oiseleur est sorti ce 9 Mars 2018 et le moins que l’on puisse dire c’est que la promesse a été très largement tenue.
Feu! Chatterton n’a pas chômé durant ces presque 3 ans. Après une tournée de près de 200 dates et un Olympia (complet quand même !), le groupe est resté sur l’euphorie et la nervosité de leur succès inattendu pour esquisser les grandes lignes de cet Oiseleur. Le quintet loue un studio et balance des bribes de mélodies, Arthur Teboul (chant) malaxe des morceaux de mots, pétri des bouts de phrases, tentant de donner corps, de construire une ossature solide à ce deuxième disque.

Arthur délaisse quelques temps ses collègues et s’envole faire voyager sa poésie en Andalousie d’abord, au milieu de ces jardins isolés, de ce vert au milieu du désert. Puis l’Italie et son Sud volcanique (Naples et ses alentours) pour tremper ses mots dans cette lave féconde, refaire jaillir le volcan de la créativité.
Puis retour à Paris pour mettre les inspirations au diapason, textes et musiques, chant et instruments.
Le disque prend forme. La plume élégante d’Arthur se mêle délicatement aux instrumentations du groupe. Feu! Chatterton brouille les pistes – encore plus que pour le premier album – et offre un album flottant, un disque vaporeux aux frontières solubles. Ces frontières entre modernité et classicisme, entre passé et présent, « A la fois old-school et moderne comme un texto de ta grand-mère. »Fuzati).

Cette démarcation qui se fond admirablement dans cet album léché, ce grand écart entre ces textes ciselés, écrits avec soin, empreints de Dandysme et de Romantisme et une recherche musicale constante, de tous les morceaux, passant allègrement de petite touches Electro discrètes (Anna) à quelques passes rappées dans un nuage d’absinthe (Ivresse); de suppliques Rock larmoyantes pleurant l’être absent (Grace) à quelques volutes Psychédéliques disséminées au fil d’un album loin d’être sage.
Un disque qui peut paraitre difficile d’accès vu de l’extérieur mais dont la finesse d’exécution et les gimmicks Pop qui accrochent l’oreille offrent la clé de ce qui pourrait à première vue sembler trop hermétique (voire prétentieux).
Ce disque comme la virée étrange et poétique dans un XIX ème siècle réinventé à la force de la plume et du poignet, du stylo et du médiator.

Cet album comme L’Oiseleur de son titre qui attrape aux filets les petits oiseaux; Feu! Chatterton vient de piéger avec son disque les moineaux que nous sommes et s’apprête à nous bouffer tout cru.

Bon appétit !

Renaud ZBN

Feu! Chatterton – L’Oiseleur
Barclay / Universal
Date de sortie : 9 mars 2018