Dominique Charpentier – Lou Vent ou un certain éloge du souffle de la terre

Le pianiste de Nîmes Dominique Charpentier dessine à travers des miniatures aériennes une image minimaliste des vents de Provence. Une promesse de fraîcheur et d’apesanteur tenue.

C’est étrange parfois comment l’on rencontre le travail d’un artiste. Cette rencontre fortuite avec le travail du compositeur Dominique Charpentier, je la dois à l’accident, à l’erreur. Je m’explique… Un de mes amis me conseille l’écoute d’un disque de la violoncelliste italiano-brésilienne Daniela Savoldi, sur laquelle je reviendrai bientôt pour évoquer la sortie de son second disque, le superbe Ragnatele. Le dit ami m’envoie donc un lien pour une plateforme bien connue, je me lance dans une écoute aléatoire du disque de la soliste et tombe immédiatement sous le charme mais dès le second titre, changement de climat et d’ambiance mais aussi d’instrument, place au piano. Un peu surpris, je consulte ma liste de lecture. Sans m’en rendre compte, l’intelligence artificielle de mon ordinateur vient de me faire basculer par analogie sur un travail voisin de celui de l’italienne… Un certain Dominique Charpentier et la musique superbe d’un film, The Cakemaker (2018). Début d’une rencontre donc…

Je poursuis donc ma recherche et découvre plus avant la musique de ce pianiste du sud-est de la France. Pour faire simple, on classera assurément le monsieur dans la case minimaliste avec un soupçon d’influences de Yann Tiersen, de Keith Jarrett ou de Ketil Bjørnstad. Un son doux et nuancé qui semble venir du cœur profond de l’instrument qui n’évite jamais l’émotion hésitant entre contemplation et fièvre.

Cela sonne comme une évidence à l’écoute de la musique du nîmois mais ses textures totalement au service de la mélodie parviennent à traduire l’impalpable à l’images des vents de Provence ici dans Lou Vent. Suffisamment suggestives pour libérer l’imagination, les lignes mélodiques de Dominique Charpentier insufflent une belle force et un émerveillement de chaque instant à travers une surprise sans cesse renouvelée.  On pensera parfois au Dustin O’Halloran des Piano Solo, à un Nils Frahm plus ouvert.

A la découverte de cet EP, Lou Vent, on se plaît à découvrir la multiplicité des vents du sud. On en énumère les noms… Libeccio, Ponant, Mistral, Levant, Tramontane, Sirocco ou Marin qui , chacun, donnent leurs noms aux pièces musicales.Se dégagent de chacune de ces vignettes une impression toujours changeante. Là, le souffle du large, ici, la respiration haletante entre ubac et adret. La musique de Dominique Charpentier est éminemment impressionniste dans le sens strict du terme et Lou Vent, dans son principe de description d’un vent et par défaut d’un paysage, n’est pas sans rappeler la beauté de Famous Places (2010), troisième album de Keith Kenniff sous le nom de Goldmund où l’américain s’employait à dépeindre des lieux importants dans sa vie et le long cheminement de sa constitution.

Il y a dans la plénitude des notes de Dominique Charpentier un petit quelque chose de la sérénité du Franz Liszt, des années de pèlerinage et du Lac de Walenstadt, comme des reflets en ondes au ras de l’eau. On entend aussi dans ce sens de la concision qu’a le pianiste français une parentalité possible avec les Ten Woodland Sketches (1896) d’Edward MacDowell ou comment dire beaucoup avec peu, laisser à distance le dérisoire et l’effet pour ne conserver que l’essentiel. Ce qui est passionnant avec un instrument comme le piano, c’est la multitude d’interprétations qu’il peut offrir. Qu’ont donc en commun Ólafur Arnalds et Tim Linghaus ? Charles-Valentin Alkan et Satie ? Rien et tout à la fois. Cette même contrainte de devoir faire avec 88 touches, 52 blanches pour 36 noires. Des touches pour accoucher d’un monde, pour sortir de soi ce que l’on est ou croit être, pour dire ce que l’on ne sait pas, pour vivre, pour esquisser d’un trait ou ici d’une note un tableau qui n’existe pas encore.

 

En bon breton que je suis, je crois profondément dans la force du vent, qu’il forge ce que nous sommes, qu’il laisse en nous des traces de son passage. S’évertuant à être invisible, il n’oublie pas de poser une empreinte indélébile à l’ombre, à l’arrière de nous. Il n’y a finalement rien de plus musical que le vent. Le vent, en lui-même, n’est-il pas la traduction sonore de la force de la nature ?

Jules Supervielle dit dans Le Corps Tragique

Les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages.

Et si finalement le vent était un souffle qui éparpillait  la mémoire, dissipait les nuages noirs ? La musique de Dominique Charpentier égrène  quelques notes précieuses et en ces temps où l’ombre n’offre pas de réconfort, on ne saurait que trop conseiller l’écoute assidue  de sa discographie  totalement disponible sur son Bandcamp.

Greg Bod

Dominique Charpentier – Lou Vent
Sortie le 14 juin 2019
Label : Modern Piano Recordings