[Interview] Guillaume Marietta : « La musique te montre que tu es libre de choisir ta propre voie »

Pour accompagner la sortie de son dernier album, Prazepam St., audacieux et très réussi, il nous fallait absolument rencontrer Guillaume Marietta, pour mieux comprendre où en était en 2020 un artiste aussi décalé que lui par rapport aux normes.

Marietta
© Chloe Lecarpentier

Dans l’armoire à pharmacie de ma grand-mère…

Benzine : Prazepam St, c’est un titre qui interpelle, sans même parler des titres de chansons comme Ether ou Dmpa ! Alors, ça vient d’où, tout ça ?

Guillaume : J’ai toujours aimé faire attention aux titres des disques ou des chansons ; la langue, les mots me plaisent… J’aime beaucoup les images mentales, j’aime créer des images avec mes mots. Le Prazepam, c’est un médicament, mais ça défonce vraiment si tu le prends avec de l’alcool ! La thématique chimique du disque s’est construite au fur et à mesure, ce n’était pas décidé au départ, il y a eu une constance qui est apparue, je l’ai suivie, on retrouve cette thématique à différents moments. Ce n’est pas un truc dont on parle beaucoup dans la musique, mais ça fait partie du quotidien de beaucoup de gens.

Personnellement, je n’ai pas la culture de trips sous LSD ou sous champignons hallucinogènes, donc je ne peux pas en parler. J’aime l’idée que la culture psyché puissent aussi être rattachée à des médicaments qu’on trouve facilement, dans l’armoire à pharmacie familiale… Il y a un lien personnel aussi, bien sûr, c’est rattaché à moi, l’éther dans l’armoire à pharmacie de ma grand-mère que je sniffais… J’ai fait des recherches aussi, par exemple pour la DMPA, une substance qui entre dans la composition d’un castrateur chimique pour des délinquants sexuels… ça me permet de parler de la culture machiste qui est là depuis des décennies dans notre civilisation. Je peux exprimer indirectement ma colère : je déteste la domination, sous toute forme que ce soit, celle des hommes sur les femmes, celle des riches ou des puissants sur les pauvres… En fait, le Rock est un genre contradictoire, il est lié à l’émancipation, mais il reproduit aussi ces principes de domination culturelle, machiste ou économique.

Benzine : Sur Prazepam St., tu chantes aussi bien en anglais qu’en français, à la différence de la majorité des rockers français…

Guillaume : Maintenant que je sais faire les deux, écrire en français et en anglais, je ne connais pas à l’avance la langue d’une future chanson. Je commence par la musique, mais j’ai aussi des carnets dans lesquels je jette des idées de textes, en anglais ou en français. Certains riffs m’emmènent alors vers l’une ou l’autre des deux langues.

J’aimerais en fait réussir à écrire de textes qui mêlent les deux langues… J’aime bien croiser dans la rue des gens étrangers qui discutent : ils passent d’une langue à l’autre, comme ça, difficile de dire pourquoi. Je trouve ça hyper beau, ce switch, de manière instinctive… Peut-être qu’il y a des mots, des structures de phrases qui passent mieux dans certaines langues, qui expriment mieux certaines pensées…

Je suis surtout attaché à une forme de radicalité…

Benzine : Chanter du rock en français, ce n’est pas facile, peu de gens y arrivent…

Guillaume: Bien faire sonner la langue française, c’est très important. Moi, je veux être fier de mes chansons, je veux avoir envie de les écouter, or j’écoute naturellement peu d’œuvres françaises. J’ai trouvé très rarement dans la culture française des choses qui m’ont fait péter le cerveau comme l’ont fait des Américains.

Il y a le modèle Gainsbourg, mais quand quelqu’un essaie de l’imiter, on sent tout de suite que ça ne va pas. Dominique A aussi, c’est impossible à imiter, il a trouvé une langue qui lui est propre !

En fait, ce qui fonctionne en français je trouve, c’est souvent des textes très forts qui sont scandés sans mélodie. J’essaie de retrouver ce souffle primitif, plutôt punk, et puis de modeler les mots pour qu’ils intègrent une mélodie.

Il y a des années, j’écoutais Jean Louis Costes, un type qui faisait des disques comme tu vomis, c’était très, très brutal, c’était l’expression de tout ce qui est malade dans la Société. C’est comme s’il avait des voix dans la tête, et qu’il retranscrivait tout ce que les gens disent, toute la saleté que les gens ont dans la tête. Il mettait vraiment les deux mains dans la merde, et ça m’a permis de voir qu’on pouvait chanter des choses crues. Chez Noir Boy George – on jouait ensemble dans A.H. Kraken -, il y a tout à fait ces moments d’intense beauté nue, décharnée dans ses textes et son chant.

Benzine : Prenons un peu de recul, pour ceux qui n’auraient pas suivi ta trajectoire, tu en es où ? Tu vas où ?

Guillaume : Je n’ai jamais su où j’allais, non, c’est impossible pour moi de le dire : je ne veux même pas le savoir, sinon j’arrêterais… La seule chose, c’est que je suis exigeant avec moi-même, parfois trop.  Je peux être très critique vis-à-vis de moi et aussi des autres, donc je dois faire de mon mieux. Je suis surtout attaché à une forme de radicalité, même si ce que je fais peut sembler pop ou déroutant. D’ailleurs, pour mon album précédent qui était entièrement chanté en français, des gens ont été déçus, ils pensaient que je me fourvoyais… mais c’était ce qu’il fallait que je fasse à l’époque. Et je l’ai fait à fond. De manière générale, j’ai du mal avec la musique de genre, comme en jouent beaucoup de  groupes, psyché ou post-punk. Ça m’est impossible d’aimer les codes d’un genre musical au point de les suivre aveuglément comme la Bible : je ne comprends pas ça, même si on les reproduit avec amour, ces codes… Il faut trouver son propre langage.

Par goût, j’aime les bidouillages, j’aime énormément les mélodies, mais tout autant le bruit… J’ai pas mal écouté de noise rock, ça reste en moi. Je peux rester assis à écouter de purs feedbacks de guitares pendant vingt minutes. C’est magnifique.

 

Marietta
© Chloé Lecarpentier

Dylan, ça me donne foi en la vieillesse !

Benzine : La question inévitable en ce moment, comment tu t’en sors avec la situation actuelle qui empêche de jouer sur scène…

Guillaume : J’ai eu un peu de chance, j’ai pu faire quelques concerts cet été, comme au Trabendo l’autre jour. Je pars jouer à Lille demain. Mais si tu n’as pas le statut d’intermittent, c’est très difficile de s’en sortir financièrement…

Benzine : Et tes prochains projets ?

Guillaume : C’est simple : continuer à donner des concerts chaque fois que c’est possible, faire écouter mon dernier album aux gens, vendre ou offrir mes disques que je transporte dans ma petite valise en tournée.

J’essaie aussi de me remettre à composer, je tape dans plusieurs pistes. J’avais laissé des choses en chantier, mais déjà ça ne me parait plus très pertinent… Mais je vais trouver…

Au milieu de la situation actuelle, la musique c’est un petit plaisir égoïste, je me dis parfois qu’il y aurait mieux à faire pour que les choses aillent mieux. Je n’ai jamais été très friand des discours explicitement politiques à travers les textes des chansons : je suis un énorme fan de Dylan, et même ses chansons politiques, elles sont belles parce qu’elles ont des images qui te perforent la tête, et parce que l’interprétation est formidable… pas parce qu’il y aurait un message politique !  Dylan, ça me donne foi en la vieillesse ! (rires)

En fait, la musique peut être politique quand elle te montre entre les lignes que tu es libre de choisir ta propre voie, que les choses ne sont pas forcément comme on te le dit qu’elles sont, que tu peux construire des possibles.

C’est aussi une bonne manière de glander.

Benzine : Merci, Guillaume, on se reparle très vite, dès que tu fais d’autres concerts par ici !

Prazepam St., le dernier album de Marietta, est disponible depuis juin 2020.