« Bartleby, le scribe » : Herman Melville superbement adapté

Bien qu’unanimement célébré dans les pays anglo-saxons, Bartleby est méconnu en France. Grâce à José-Luis Munuera, le voilà remis en lumière dans cette adaptation réussie, et l’on ne peut que s’en féliciter !

Bartleby, le scribe — José-Luis Munuera
© 2021 Dargaud

Cet étrange jeune homme est un héros d’Herman Melville. Publiée en 1853, sa nouvelle nous projette à Wall Street, au cœur du nouveau quartier des affaires, épicentre d’un monde industriel en gésine. Un notaire engage un jeune scribe. Pour la plus grande satisfaction de son patron, Bartleby copie des actes. Jusqu’au jour, où, avec politesse mais fermeté, il refuse de collationner les copies sur un simple : « Je préfèrerais pas ». Il préfère ne pas relire, puis ne plus écrire, enfin ne plus quitter le bureau. Il cesse de travailler pour se plonger dans la contemplation d’un mur de briques. Déconcerté, le notaire le conjure de s’expliquer. Il n’en fera rien. Voilà pour un texte qui est, selon Daniel Pennac, « la plus belle nouvelle du monde ».

Bartleby, le scribe — José-Luis MunueraCe court livre aux multiples niveaux lectures a suscité une glose considérable. De Maurice Blanchot à Georges Bataille, de Michel Foucault à Gilles Deleuze, les plus grands se sont écharpés en tentant de rallier l’étrange rebelle à leur cause. Décrit comme courtois et soigné, Bartleby est une énigme « éminemment convenable en dépit de toutes ses excentricités ». Que signifie sa résistance passive ? Est-il le prophète attendu qui nous libèrera de l’aliénation capitaliste, ou un pauvre fou ? Qu’a voulu nous dire Melville ? Nous l’ignorons.

Le dessin de Munuera s’est affiné avec les années. À l’image de Hayao Miyazaki, il associe des personnages subtilement caricaturés à de somptueux décors classiques. Les lavis finement travaillés de Seydas brossent, sous toutes les saisons, un New-York probablement plus beau que nature. Bedonnants, hautains et confits dans leurs certitudes, ses bourgeois évoquent les créations d’Honoré Daumier. Plus étonnant, en le dotant de grands yeux sombres et d’un haut front mélancolique, il offre à la « silhouette incertaine, lividement soignée » du texte original une véritable grâce. Beau et triste, Bartleby y gagne en élégance, tandis que son mystère s’en trouve épaissi. Que redoutait-il ? Melville, revient !

Stéphane de Boysson

Bartleby, le scribe
Adaptation d’Herman Melville par José-Luis Munuera
Dessin : José-Luis Munuera
Éditeur : Dargaud
72 pages – 15,99 €
Parution : 19 février 2021

Bartleby, le scribe — Extrait :

Bartleby, le scribe — José-Luis Munuera
© 2021 Dargaud