[Interview] Quoi de mieux que d’être un Underdog ?

Le label parisien Underdog Records fête cette année ses 15 ans d’existence. A cette occasion, Cyril Clerget a rencontré  Maxime Peron, responsable du label, pour parler de l’histoire d’Underdog, des groupes qui le composent et de la situation actuelle.

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Avec la passion de et pour la musique comme moteur, les labels indépendants sont des acteurs incontournables mais fragiles du music business d’aujourd’hui.
Avec la crise du Covid-19, pour fidéliser leur public et avoir une certaine visibilité dans les médias, les labels se doivent de faire preuve d’encore plus d’imagination créative, de liberté, d’originalité et de diversité dans les choix et projets musicaux qu’ils choisissent de soutenir.
Partons pour l’envers du décor des labels de musique, à la rencontre de l’un de ces acteurs courageux et passionnés, Maxime Peron, boss du label Underdog Records.

BENZINE  : Entrons dans le vif du sujet, parle-nous de ta passion pour la musique. Est-elle toujours intacte après plus de 15 ans dans le music business des labels ?

Maxime Peron : Oui tu as raison la passion est le principal moteur quand tu te lances et puis quand tu te professionnalises, tu goûtes à tout ce qui entoure la sortie d’un projet. Des aspects parfois mon sexy mais à la fin ce qui compte, c’est la rencontre et la volonté de défendre des artistes différents, novateurs, indépendants… Donc oui la passion est intacte mais il faut parfois savoir la relancer, la renforcer. Chaque projet est au bout du compte une histoire d’amour (rires) certaines durent plus que d’autres, certaines sont plus houleuses voir douloureuse etc. L’amour ne meurt jamais, il renaît toujours !!!!

Underdog Records a aujourd’hui 17 ans, présente-nous ton label. Pourquoi et comment as-tu été amené à le créer avec ton complice Laurent Loudier ?

Déjà 17 ans ! c’est l’adolescence donc… tout est né d’une histoire d’amis. On avait un petit groupe, réuni dans un projet musical (La Fonction). Le groupe avait un écho régional dans le petit milieu de la funk et avait comme parrain Mr Juan Rozoff (pionnier dans les années 1990 de la « nouvelle scène funk-groove parisienne », qui a ouvert la voie notamment aux FFF, Sinclair et Malka Family). On avait envie de les aider et Laurent, alors batteur du groupe, me propose un soir lors d’une soirée un peu arrosée de se lancer et de créer un label. Nous étions jeunes, inconscients et surtout je pensais que ce projet resterait un projet de personnes un peu euphoriques (rires). Finalement, Laurent est revenu à la charge et nous nous sommes retrouvés à la Chambre de Commerce afin de déposer une véritable SARL sans rien comprendre au métier, et surtout ce que cela impliquait de monter une boite. Le label venait de naître! Nous avons choisi Underdog en référence au titre de Sly And The Family Stone mais aussi parce que cela signifie « outsider » « qui parvient à faire quelque chose avec rien ». Ensuite, nous avons donc sorti le CD de La Fonction, puis une compilation ‘La France Made In Funk’ qui trouvèrent un petit écho chez les passionnés de funk avant que je commence à travailler en maison de disque et que m’arrive par erreur le CD de Flox qui allait devenir le pilier du label. Depuis l’aventure continue et nous sommes restés fidèles à notre ligne éditoriale: le groove sous toutes ses formes! J’ai depuis racheté les parts de Laurent mais sans lui rien n’aurait été possible.

« le streaming a ouvert à une grande diversité musicale, il n’y a plus trop de format… »

Avec des centaines de labels musicaux créés en parallèle des grandes majors, comment rester visible et pertinent sur internet et ses diverses sources de diffusion de la musique ?

Je crois que c’est possible d’exister dans cette « jungle » à partir du moment où tu gardes ta passion et une ligne éditoriale forte sans pour autant se spécialiser. La spécialisation amène une image forte mais qui s’estompe avec le temps et puis ça peut amener à brider sa créativité. Après nous ne sommes pas non plus légion dans le monde à sortir des projets tournés vers les musiques dites du monde, la soul, le hip-hop etc. Nous nous connaissons tous d’ailleurs. Outre la ligne éditoriale, la prise de risque est importante. Quant aux blogs, réseaux sociaux c’est plus une chance qu’autre chose. Quand j’ai commencé on était sur un modèle classique franco-français. En gros tu avais la bonne radio, la bonne presse et ton projet était lancé. Aujourd’hui tu peux avoir un écho partout dans le monde. Le matin quand j’ouvre le bureau, je regarde les tops digitaux et quasi tous les jours j’ai un titre dans un top en Suède, Mexique etc. C’est vraiment une chance d’avoir de nouveaux acteurs souvent indépendants et curieux. On ne dépend plus d’un plan promo et ça ça me va très très bien. L’autre point c’est que le streaming a ouvert certaines personnes à une grande diversité musicale, il n’y a plus trop de format. Par contre le revers de la médaille de cette « mondialisation » c’est que le public a du mal à se fidéliser sur un artiste, tout va trop vite. L’autre truc super chouette actuellement c’est la diffusion de la musique via nos pressages vinyles qui sont achetés dans le monde entier et joués par pas mal de Djs et autres diggers. Le champ des possibles est plus concurrentiel mais aussi plus vaste donc tout le monde peut se faire sa petite place.

Pour faire connaître votre label et vos artistes, penses-tu avoir facilement l’accès aux médias traditionnels ou c’est impossible et vous ne pouvez compter que sur certains blogs ou radios associatives ou étudiantes ?

Ça rejoint un peu ma réponse précédente. Quand j’ai commencé à travailler dans la musique, j’ai été formé à la promotion. Depuis je continue de faire la promo de nos artistes en interne sauf sur la partie digitale ou je passe par des attachés de presse spécialisés. Ce qui a changé depuis quelques années c’est le poids des médias dits « traditionnels ». On continue de travailler avec tous les acteurs nationaux (radios, presse…) même si c’est de moins en moins évident car l’offre est plus large et du coup il y a une grosse compétition pour avoir une place. Après on ne va pas se mentir, j’ai mon petit caractère et je considère que le copinage est encore trop présent chez certains. L’autre point négatif, c’est la place laissée aux musiques comme les nôtres. On a beau avoir de très gros chiffres de stream, des tournées internationales, 130 000 abonnés Youtube, c’est parfois compliqué de faire valoir son label. Certains médias ont besoin d’être rassurés par l’étiquette derrière le CD. Je trouve ça tellement triste. Aujourd’hui et pour être franc je passe plus de temps sur les stratégies digitales, sur l’export, et à travailler avec les éditeurs des playlists de streaming sans oublier nos fidèles partenaires que sont certaines radios nationales privées ou publiques.

« Chez Underdog ce qui prime c’est l’aspect chanson… »

Comment fonctionnez-vous pour maintenir un équilibre entre votre passion pour la musique, une certaine liberté artistique avec vos coups de cœurs musicaux (les derniers albums de The Brooks ou l’artiste brésilien João Selva par exemple) et l’aspect financier de la vie d’un label ?

Tu as raison il y a un lien étroit entre la passion et la raison. Parfois on refuse des projets que l’on adore artistiquement parce que l’on sait que ça sera injouable en tour, en promo etc, donc l’artistique doit rejoindre la réalité de notre économie. Chez Underdog ce qui prime c’est l’aspect « chanson ». On m’a demandé il y a peu le point commun entre nos artistes. Et bien c’est sans doute ça : une chanson. Quelque chose qui retient l’attention que ça soit en afrobeat, reggae, hip hop. C’est d’ailleurs ce qui fait que nos titres rentrent souvent en radio, en playlist streaming, etc… Après sur l’aspect économique, nous sommes des artisans, nos revenus sont constitués de plein de petits postes qui s’additionnent : ventes, service, édition, synchro etc. L’équilibre vient aussi du fait que le label a plus de 15 ans et un back catalogue conséquent qui assoit une certaine économie. Après, nous sommes un ULM, une micro-structure avec peu de frais de fonctionnement, ce qui nous permet d’investir à chaque fois sur nos artistes. On a aussi la chance en France d’avoir des partenaires qui aident et soutiennent avec des aides les structures comme la mienne. On est en train d’ailleurs, suite à notre déménagement dans la région Normandie de tenter de nous inscrire dans une territorialité afin de travailler avec des acteurs locaux et la région qui souhaite soutenir nos projets. Outre la passion dans nos métiers il faut être inventif, créatif.

Vu l’importance du streaming dans l’écoute de la musique aujourd’hui, est-ce que ça ne serait pas plus simple financièrement parlant, de privilégier que des sorties en digital et de ne plus sortir du vinyle malgré la beauté du geste ?

Alors oui et non. Le streaming est au fond une radio géante qui permet de faire valoir nos sons partout dans le monde. Si l’économie du streaming devient de plus en plus intéressante, le physique est encore aujourd’hui une source de revenu que ça soit le CD ou même le vinyle. C’est vrai qu’un vinyle coûte cher à produire mais on n’en fait pas sur tous les artistes. On finit par connaître notre auditoire donc la prise de risque est limitée.

Comment déterminez-vous votre stratégie artistique ? Quels sont les projets artistiques qui t’ont le plus marqué ?

On a la chance d’avoir une distribution monde pour nos supports vinyles et à part quelques références, presque toutes sont soit sold-out soit en repressage. Le vinyle est aussi largement vendu en concert et plébiscité par le public. C’est aussi de l’image, de la promo à destination des programmateurs, des Djs etc.
Quant aux projets qui m’ont le plus marqués, Ils ont tous une histoire différente, et donc un attachement particulier. Après c’est sûr que Flox est le déclencheur de tout ça. C’est comme si tu me demandais de choisir entre mon père et ma mère (rires).

Vous voulez-vous donner au label une dimension plus internationale ou plus privilégier la scène hexagonale ?

De plus en plus on se tourne à l’international. Notre catalogue est plus orienté vers le groove et trouve un large écho au Japon, en Allemagne, en Angleterre et maintenant les USA. A chaque sortie désormais on prend un attaché de presse sur ces territoires et on se rend compte sans faire offense aux médias français que la culture musicale y est beaucoup plus importante. Les médias sont d’une curiosité incroyable et même les artistes sont surpris des demandes d’interviews qu’on leur propose. Le streaming fait aussi que la France ne représente plus que 30% de nos écoutes. C’est donc un développement nécessaire. On a d’ailleurs sur notre chaîne Youtube qui compte 130 000 abonnés (notamment: presque 35 000 abonnés au Mexique). C’est super excitant ! Des groupes comme The Brooks, Dowdelin, The Bongo Hop avaient entamés avant le Covid-19 de véritables tournées internationales.

La réédition pour le Disquaires Day (RSD) en 2020 du premier album ‘Enter the Sideshow Groove’ des Dafuniks sortie en 2011 (sold out depuis de nombreuses années) qui a fait vraiment plaisir aux nombreux fans du groupe. Parle-nous de ce groupe…

Dafuniks c’est vraiment une belle histoire. Celle d’un groupe basé au Danemark qui distille un hip-hop teinté de soul nostalgique et qui signe sur notre petit label. A vrai dire même si le premier album a très très bien marché et a reçu un large écho médiatique, je n’avais pas senti que le groupe était devenu une référence et que le vinyle était autant recherché. On est déjà quasi sold out sur cette réédition. Un nouvel EP arrive bientôt et j’en suis tellement heureux. Ce groupe est un classique et je réécoute souvent les deux albums. Les titres ‘All I Want, Ease My Mind, Hello I Love U’ ou encore ‘Soul Searching’ sont des tracks incroyables ! Just Mike le producteur de Dafuniks prépare aussi pas mal de projets autour de Dafuniks après que l’on ait sorti ‘Otis Stacks’ qui a aussi très bien marché.

 

« Chaque clic, achat de CD, vinyle, chaque partage sur un réseau social est un acte militant… »

La dernière grosse sortie du label avec l’album ‘Navegar‘ de l’artiste brésilien João Selva produit par ‘’Bruno Patchworks’’ Hovart marche super bien. Quelles sont les prochaines sorties du label ?

Grosse série à venir avec le nouvel EP de John Milk (soul) qui est enfin de retour, des EP pour The Bongo Hop, les Dafuniks, Goodson, Dowdelin, un album pour The Buttshakers (soul) et pas mal de surprises que je ne peux pas encore dévoiler avec quelques noms retentissants.

A l’heure du Covid-19 et de ses conséquences sur la culture en générale et la musique en particulier, comment vois-tu l’avenir de ton label ? Dans quelle direction le faire évoluer ?

Il est clair que nous traversons une période très compliquée. Je ne sais pas trop quoi dire à mes artistes, on échange beaucoup en ce moment, on partage nos visions, nos inquiétudes. J’ai mis en place une veille afin de voir ce qui se passait, les aides à voir venir, les prévisions, j’ai participé à pas mal d’enquêtes et de réunions. Il va falloir être patient et espérer que ça ne dure pas trop longtemps. L’avenir est donc obscur car sans live, pas d’artiste, pas de merchandising, de droits Sacem, etc… Pendant le confinement j’ai sorti énormément de projets en single (Kolinga, Electric Mamba, Meylo, Flox…) pour tenter de continuer à être créatifs. On va donc continuer. Je n’ai aucun doute sur les stratégies digitales concernant le label mais je m’inquiète grandement pour le statut de mes auteurs / compositeurs et leur intermittence. Tout le travail que je fais au sein du label est valorisé en live. Nous verrons bien. Après, je reste persuadé que même si c’est compliqué, il faut continuer à créer, faire des sorties, des remixes, des singles, etc. On va aussi poursuivre à l’international en promo et on continue à travailler notre gros réseau de musique à l’image (synchro pub, ciné). On va aussi sûrement commencer à faire des dossiers d’aide et nous inscrire comme je l’ai déjà mentionné dans une territorialité afin de collaborer avec des acteurs locaux.

Quel est le message que tu souhaiterais faire passer aux lecteurs de cet article ?

Que, quelque part, leur curiosité est notre carburant. Chaque personne qui lit un article sur la musique, écoute, un indépendant est un militant. Chaque clic, achat de CD, vinyle, chaque partage sur un réseau social est un acte militant et que sans ces personnes sensibles à la différence nous ne serions pas là. Donc continuez à cultiver votre différence en soutenant des activistes comme nous! Nos épiceries fines sont ouvertes 24/24 (rires).

Interview réalisée par Cyril Clerget en mai 2021

Underdog Records :

https://www.underdogrecords.fr
https://underdogrecords.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/UNDERDOG.RECORDS/

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