« Le Tournoi des ombres », de Jean-Pierre Perrin : Afghan noir

Jean-Pierre Perrin, ancien grand reporter à Libération et spécialiste de l’Afghanistan, nous livre son 5ᵉ roman noir, autour d’une vengeance. Un récit mêlant érudition, personnages attachants, connaissance de l’histoire afghane et ce qu’il faut de péripéties trépidantes dans les paysages grandioses du Panshir.

Jean-Pierre Perrin DR
Jean-Pierre Perrin DR

Ne vous arrêtez pas sur l’écriture parfois très SAS du Tournoi des ombres : « La minute suivante, le moteur de la 911 Classic ronfle dans la cour. On dirait la signature sonore d’un dragon étirant sa longue queue dans la rue principale du village » (Au secours !), le polar de Jean-Pierre Perrin vaut beaucoup que mieux que ne le laisse penser quelquefois son style « roman de gare ».  Nous lisions la prose du monsieur lorsqu’il officiait à Libération et qu’il nous relatait la résistance afghane face à l’envahisseur russe puis les guerres intestines entre Massoud et les Talibans, Le Tournoi des ombres nous ramène aujourd’hui à la période qui suit le départ en catastrophe des Américains et la nouvelle prise de Kaboul par les Talibans. Jean-Pierre Perrin a le chic, par le biais de ses descriptions, de ses personnages, de nous ramener dans cet Afghanistan des Cavaliers décrit par Joseph Kessel (dont il a eu le prix en 2017) ou celle de l’Usage du monde de Nicolas Bouvier, ce pays qui a fait fantasmer tant de lecteurs (moi le premier).

Couv Le tournoi des ombresNous suivons le parcours de trois personnages que nous qualifierons de très romanesques (mais nous sommes là pour cela aussi !). Les chapitres du livre donnent alternativement la parole à ces trois protagonistes.

Par ordre d’entrée en scène : Charles, un ancien commando devenu vigneron en Bourgogne pas du tout politically correct : « un type en pantalons de velours uniformes, chemises à petits carreaux sur tee-shirt noir, lequel est devenu vigneron médiocre sur le tard et bourre son vin de sulfites » (bref ne le cherchez pas chez les cavistes du 11ᵉ). Quant à la propriétaire de la fameuse 911 Classic qu’on cite souvent au début du livre (placement produit comme chez Gérard de Villiers ?), elle n’est autre que Judith Tissot, écrivaine à succès, qui a assez de recul sur elle-même pour penser que « si elle avait eu vingt ans de plus et n’avait pas joué à la coquine érudite en tenue sexy sur les plateaux télévisés, elle n’aurait pas percé, en tout cas pas aussi vite. Et elle moque volontiers le milieu des lettres parisiennes qu’elle appelle « la littérature en bande organisée » » (bref ne la cherchez pas chez les libraires du 11ᵉ). Pour compléter ce duo, nous vous présentons Marc-Antoine, un étudiant illuminé, routard perdu dans un Afghanistan hostile car « talibanisé » à la recherche du manuscrit original de Le rire des amants de Sayd Bahodine Majrouh, conteur non moins que poète, livre qui fut édité en 1991 qui « rêve le présent et l’avenir d’un pays imaginaire (en lequel il n’est pas difficile de reconnaitre l’Afghanistan) » (source éditions Phébus), comme mentionné dans le livre « Majrouh annonce Salman Rushdie. ».

L’intérêt majeur du Tournoi des ombres est de mélanger le romanesque à la réalité actuelle et passée de l’Afghanistan. Jean-Pierre Perrin, comme son héros Charles, semble avoir été assez proche de Massoud (qu’on associait alors à une sorte de Che Guevara du Panshir pour son parcours résistant mais aussi pour sa plastique), il a donc une connaissance approfondie, un amour du pays, ce qui lui permet de plonger le lecteur dans l’histoire afghane d’Alexandre le Grand à nos jours et ses implications dans des affaires terroristes françaises.

Ce récit est, pour le lecteur, une source importante d’informations (Perrin n’est pas ancien journaliste pour rien), on y apprend ainsi que le gouvernement turkmène avait offert à François Mitterrand, lors d’un voyage officiel, un magnifique akhal-télé (espèce très recherchée d’étalon) et que celui-ci l’avait aussitôt donné en secret à sa fille Mazarine, dans le livre c’est Massoud qui offre à Charles une très belle jument, Nour, qui joue un rôle non négligeable dans l’intrigue. Nous croiserons ainsi d’autres personnages réels qui ont des rôles clefs dans le roman, Sayyed Jafar Naderi par exemple.

Ce livre ravira ceux (qui comme moi) ont toujours été fascinés par l’histoire de l’Afghanistan et frustrés de ne pas avoir pu avoir la possibilité d’y trainer leurs puces dans les tchaîkhana du Panshir. Les amateurs de DOA y trouveront aussi leur compte car côté catalogue Manufrance des armes de guerre, échanges de tirs et autres scènes violentes, il y a aussi ce qu’il faut (je suis moins fan).

Munissez-vous de quelques mûres séchées, d’un thé assez fort, baissez drastiquement la température de votre pièce (ou mieux encore, sortez lorsqu’il fait très froid à la belle étoile) afin de faire couleur locale et plongez-vous dans Le Tournoi des ombres, vous passerez alors un bon moment.

Éric ATTIC

Le Tournoi des ombres
Thriller de Jean-Pierre Perrin
Éditeur : Éditions Rivages – Rivages/Noir
370 pages – 22€
Date de parution : 5 avril 2023