[Live Report] Gyasi et Silver Synthetic au Folk Blues Festival de Binic

Gyasi, que nous attendions comme un nouveau messie, a illuminé le dernier jour du Festival Folk-Blues de Binic : nous n’étions plus en Bretagne, mais sur Mars ! On vous raconte…

2023 07 30 Festival Folk Blues Binic J3 Gyasi
Gyasi au Festival de Binic – Photo : Eric Debarnot

La troisième journée du festival s’annonce quand même un peu moins excitante, dans la mesure où les festivaliers sur place depuis deux jours ont déjà eu l’occasion de voir une bonne partie des groupes, du fait du système de rotation des artistes entre les deux scènes. Heureusement, il y a Gyasi en fin de journée, l’une des grosses motivations de ce dimanche. Côté météo, la situation reste inchangée avec une alternance de soleil et de nuages gris, avec peu de pluie et des températures clémentes : confortable donc pour les festivaliers…

2023 07 30 Festival Folk Blues Binic J3 Brat Farrar16h45 : quinze minutes de retard sur l’horaire prévu, c’est inhabituel pour le festival, mais pas inquiétant, le programme d’aujourd’hui ayant prévu des intervalles plus longs entre certains sets plus courts… On attaque avec le trio de Melbourne, Brat Farrar, pour un set de 35 minutes de punk rock millésimé 77, sans aucun complexe ni désir, malheureusement, d’actualiser la formule : des mélodies simples et efficaces jouées à 100 à l’heure, une belle énergie, un vrai plaisir de jouer, plus un indéniable charisme de Sam Agostino (ex-Digger & The Pussycats), au grand sourire communicatif. Rien à enlever, rien à ajouter, si ce n’est que la dernière chanson s’appelait Punk Records et qu’elle a clos le set avec une furie qui surpassait ce qui avait précédé. C’était vraiment très fun, même si on aurait naturellement apprécié un peu d’audace !

2023 07 30 Festival Folk Blues Binic J3 Long Hours

17h40 : « I hate people, I hate the world because it’s full of people » (je hais les gens, je hais le monde parce qu’il est plein de gens) : peut-être les paroles qui représentent le mieux Long Hours, c’est-à-dire Julian Medor, dans un set solo, provocateur et intense qui cristallise tous les clichés du rock’n’roll et les retourne avec un mélange indiscernable de dérision et de tragique. Interprété la plupart du temps au milieu du public, le set conjugue bruits, anathèmes, jurons, sur une rythmique parfois indus crachée par la sono. Le micro sert surtout à se frapper la bouche et le front jusqu’au sang, ou alors à frotter les cordes de la guitare pour en tirer les pires grondements. Julian, c’est comme si Lux Interior avait abandonné l’idée de faire de la musique et se contentait de rapper ou de chanter sur des sons pré-enregistrés en se faisant le plus mal possible (on est en fait mauvaise langue, car Long Hours ont publié 27 albums en 3 ans, battant ainsi le record des compatriotes de King Gizzard !). Mais, à la fin, de manière improbable, naît une vraie émotion, une douleur sourde qui creuse, qui creuse. « Best sunday ever, this is how it should be in church! » (Mon meilleur dimanche de toute ma vie, c’est comme ça que ça devrait être à l’église !) sera la conclusion parfaitement significative, de la bouche – ensanglantée – même de Long Hours.

2023 07 30 Festival Folk Blues Binic J3 Split System

19h10 : Split System n’ont vraiment pas inventé la poudre, mais comme on dit dans ces cas-là, ils savent la faire parler. Voilà donc des gens (des Australiens, pour changer un peu…) qui regrettent de ne pas avoir été à Londres en 1976 quand le pub rock de Dr Feelgood a rajeuni et s’est transformé en punk rock, et qui ont décidé de revivre cette aventure à leur manière, aux antipodes. Pourquoi se priveraient-ils, d’autant que le public de Binic n’attend que ça, l’occasion de s’agiter encore et encore ? Bref, nous avons eu droit à 50 minutes de pure tradition où chacun joue impeccablement son rôle, tant sur la scène que dans le public. C’est même amusant, mais on ne peut pas s’empêcher de remarquer que Jackson Briggs, le chanteur à l’excellente voix rauque, a l’air en pilotage automatique : c’est presque pour se forcer à « être là » qu’il va slammer, dirait-on. La preuve, c’est qu’il n’arrête pas de vouloir terminer le concert, quinze minutes avant la fin prévue, et que c’est l’organisation et ses potes qui lui disent qu’il faut qu’il continue ! Bon, c’était bien joli, mais on est loin de l’intensité dont les meilleurs ont témoigné durant ce festival.

2023 07 30 Festival Folk Blues Binic J3 Silver Synthetic20h30 : on en a terminé avec les Australiens, place maintenant aux Américains. Première étape : la Nouvelle Orléans avec Silver Synthetic. Ça commence très cool, avec une sorte de néo country pop un peu sucrée, sur laquelle se pose la voix très féminine de Chris Lyons, qui peut évoquer celle de Doug Yule dans la dernière formation du Velvet Underground. Les chansons s’alignent avec grâce, le public dodeline doucement de la tête dans le soleil qui descend sur Binic. Et puis, insensiblement, de la tension émerge dans la musique qui se durcit, se complexifie. On peut penser parfois aux Eagles de la meilleure époque, et ce d’autant que le jeu de guitare du soliste, Kunal Prakash, est superbe. Une demi-heure est passée et on se dit qu’on est en train d’écouter le meilleur groupe de la journée, pour l’instant. Mais ça ne va pas s’arrêter là : Chasm Killer, un long morceau qui serpente avant d’exploser, est une petite merveille. Et ils nous achèvent avec une version, très fidèle à l’originale et explosive, du Cinnamon Girl de Neil Young. Chapeau bas : 50 minutes d’excellence.

21h50 : Gyasi, qu’on attend avec impatience depuis le début de la journée, est enfin là, devant nous, avec 10 minutes d’avance (ce qui lui permettra d’ailleurs de nous offrir un set d’une heure…) ! Et, inutile de le nier, c’est une déferlante d’extase qui balaie le public devant la grande scène : ouaouh ! Glamour, beauté, électricité… oui une sorte d’électrocution instantanée, c’est la meilleure description possible. Et un grand moment de pur rock’n’roll pailleté aussi. Gyasi, comment vous dire, c’est comme si Ziggy, au lieu d’atterrir à Londres, avait fait une petite erreur de trajectoire et s’était retrouvé dans le sud des USA, et avait donc joué du blues. On a tout le décorum glam – costumes pailletés improbables, platform boots, maquillage, hyper sexualisation des moindres postures scéniques – mais avec une musique qui ne cite que rarement ses sources, et est au contraire ancrée dans son terroir. Pas du tout de la nostalgie rance des années 70 façon Greta Van Fleet par exemple, mais l’évidence – oui, absolument – que l’imagerie glam, école Bowie/Bolan, peut servir à un jeune Américain qui se sent femme pour s’exprimer. D’ailleurs, après le set, en rangeant son matériel, Gyasi ramasse une écharpe arc-en-ciel lancée par un spectateur, mais il n’en a pas besoin : le militantisme LGBT, c’est lui, son corps, ses attitudes, son Art. Et son incroyable beauté, bien sûr.

2023 07 30 Festival Folk Blues Binic J3 GyasiAlors oui, Mick Ronson est une référence évidente sur certains passages de guitares – avons-nous dit que Gyasi est un excellent guitariste ? (Ziggy played guitar !). Oui, il y a un passage « cabaret » qui sert d’hommage à une certaine décadence berlinoise. Oui, il y a la reprise à la fin de couplets de I’m Waiting for the Man du Velvet, mais c’est dans une version totalement soul… Répétons-le, Gyasi, c’est beaucoup plus que ces quelques citations, c’est une nouvelle expression de la splendeur du rock’n’roll, lorsqu’il assume clairement sa singularité, son audace, son refus des diktats. Il suffisait de voir autour de nous l’enthousiasme, la joie sur les visages, ce qui est presque incompréhensible d’ailleurs quand on réalise que 99% des gens devant la scène n’avaient probablement jamais entendu une note de musique de Gyasi.

Après une telle émotion, il n’était malheureusement pas possible de rester écouter les excellents Guadal Tejaz. Nous n’étions plus en Bretagne, nous étions sur Mars !

Texte et photos : Eric Debarnot

6 thoughts on “[Live Report] Gyasi et Silver Synthetic au Folk Blues Festival de Binic

  1. Bonjour, petite erreur le groupe ne s’appelle pas Guadal Tejal mais Guadal Tejaz !
    Cordialement

    1. Merci, en dépit de plusieurs relectures, il semble qu’il nous reste toujours des fautes de frappe ou d’inattention. Désolé.

  2. Petite rectification : le drapeau arc-en-ciel que ramasse Gyasi a été lancé par un spectateur ce qui n’enlève pas au fait qu’il l’a longuement porté sur lui après le set en rangeant son matériel. Super show en tout cas !

    1. Merci pour cette précision, j’ai dû regarder ailleurs à ce moment-là, je corrige !

  3. Bonjour Eric,

    Je ne connaissais pas ni ce festival ni la plupart des groupes qui y ont joué mais je vais bien sûr m’ y intéresser de plus près.
    Cependant, tout comme vous, lorsque j’ai découvert Gyasi grâce à votre webzine, je n’ai pu en croire mes oreilles et à chaque fois que l’une de ses chansons passent sur une playlist, je suis extasié par ce qui peut passer dans de simples enceintes. Alors, en concert ???
    Je regarde régulièrement sur Spotify le nombre d’écoutes mensuelles et cela ne décolle pas (6000 écoutes mensuelles) et sincèrement je ne comprends pas et j’aimerais tellement que plus de monde puisse en profiter.
    Tout comme un groupe comme dans un tout autre style Jamie & Shoony qu’on écoute tant à la maison et que mes ados mettent en voiture. (60 écoutes mensuelles).
    C’est quand même dingue. Mais bon, vous l’avez vu en concert en France et c’est quelque chose. Bien sûr, je suis jaloux à mort. Il faudra penser à envoyer des invit’ aux lecteurs la prochaine fois.
    Bises Benzinemag,
    Cédric

    1. Bonjour Cédric, merci pour ton commentaire qui me fait énormément plaisir. J’essaie de parler et de faire parler le plus possible de Gyasi, un artiste exceptionnel. Et oui, sur scène, c’était encore mieux, assez soufflant, ça a convaincu même les plus sceptiques. J’écouterai Jamie & Shoony, merci du conseil. Keep on rocking !

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