Nouveau chef d’œuvre de l’animation, non seulement française mais mondiale, Mars Express confirme, si besoin en est, la modernité et la pertinence de cette forme à une époque où la SF ambitieuse est revenue au premier plan.
Mars Express commence très fort, par une scène de violence totalement inattendue, qui pose clairement le sujet du film de Jérémie Périn : la coexistence des robots / IA au milieu des humains. C’est un sujet déjà amplement traité par la SF littéraire, et même par le cinéma, mais le film – la référence, bien entendu en termes d’animation – qui vient à l’esprit est Ghost In The Shell, à la fois par la proximité du traitement « polar + vertige métaphysique » et par le fait que le modèle d’animation choisi ici est celui de l’anime japonaise, avec des images largement fixes où ne bouge que ce qui doit bouger. Gageons que ce choix, qui ne perturbe nullement le plaisir de suivre une histoire qui avance à deux cent à l’heure, pourra quand même en révulser certains, plus habitués à l’image mouvante de l’animation US. On commence par émettre cette réserve potentielle parce que, pour le reste, on ne peut que multiplier les compliments les plus superlatifs sur Mars Express, qui est ni plus ni moins que l’une des plus belles expériences de cinéma de 2023.
Il y a d’abord le scénario, littéralement palpitant, créé par Périn et son complice Laurent Sarfati : un couple de chasseurs de primes, Aline (une ex-alcoolique) et Carlos (son meilleur ami mort et réinjecté dans un corps de robot), poursuivent une hacker sur Terre pour la ramener sur Mars. Mais au retour de cette mission, ils vont découvrir que rien n’est aussi simple qu’il le paraît, et qu’une gigantesque conspiration est en train de mettre en péril toute la civilisation martienne où cohabitent sans problèmes humains, robots et androïdes. Avec de nombreuses scènes d’action spectaculaires, mais surtout avec des rebondissements réguliers, avec une enquête qui progresse à toute vitesse et des révélations spectaculaires (et avec un brin d’humour qui permet de dédramatiser un peu une intrigue très noire), le spectateur est prié de ne pas laisser son intelligence au vestiaire ! Néanmoins, si Ghost In The Shell finissait malheureusement à devenir trop abstrait et difficilement compréhensible, Mars Express réussit à conserver une saine logique qui débouche sur une fin onirique comme il se doit dans une histoire de SF « classique », mais satisfaisante (enfin, pour eux qui n’aspirent pas à un happy end hollywoodien !). Il est certain qu’il sera bénéfique de revoir le film, et même plusieurs fois, pour être totalement confortables avec tous les détails de son récit, mais, après tout, n’est-ce pas là l’un des grands plaisirs cinéphiliques ?
Le gros, gros point de différenciation entre Mars Express et la plupart des films de SF, c’est l’inimaginable créativité de ses scénaristes lorsqu’il s’agit d’inventer les détails d’un futur qui soit réellement… renversant. Il y a des moments (nombreux, en fait) où l’on n’a même pas envie de suivre l’enquête menée par nos « héros » tant on se régale devant l’abondance de choses, de personnages, de décors absolument stupéfiants ! Voilà de la SF qui fait réellement de l’anticipation, dans le bon sens du terme, loin des recyclages paresseux d’idées déjà mille fois lues ou vues ailleurs.
Autre qualité notable du film, c’est le soin apporté à la construction de personnages réellement « humains », grâce à de « vrais » acteurs pour leur conférer une personnalité (Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé, et même Marthe Keller !) mais surtout grâce à un contexte riche – l’alcoolisme d’Aline, la perte de sa famille à sa mort pour Carlos,… Et puis, ce qui est incontournable pour un film d’animation, il y a ici une réelle beauté des images, avec un graphisme adoptant les principes de la ligne claire de la BD franco-belge, mais proposant également des décors sophistiqués.
Mars Express est une réussite totale qui, après le triomphe esthétique du travail effectué sur la série Blue Eye Samurai, confirme la place incontournable acquise par l’animation française dans le cinéma actuel.
Eric Debarnot