Tous les albums de Bowie : 39. Look at the Moon! (Live Phoenix Festival 97)

Dans la foulée de EART HL I NG, Bowie se lance dans une longue tournée pour supporter l’album, où il va revisiter son répertoire en offrant au public des versions différentes, et souvent très intenses d’anciens titres. Si l’on ne fait pas ici dans la dentelle, l’intensité – et le retour à la forme de Bowie – sont indéniables…

Look at the Moon Image

Dans les années 90, le phénix Bowie renaît incontestablement de ses cendres avec l’ambitieux Outside et une tournée qui le révèle en grande forme. Toujours sur la lancée du météorique EART HL I NG, Bowie continue de frapper très fort lors de concerts en Europe et en Amérique. A l’époque, les pirates de grande qualité, tels que le concert anniversaire de janvier à New York, ou l’impeccable performance au Paradiso d’Amsterdam, saturent tellement le marché que Virgin renonce à toute sortie officielle. Les abonnés de BowieNet eurent quand même droit en 2000 à quelques titres sur l’album compilation LiveandWell.com avec les très efficaces Pallas Athena ou V-2 Schneider. Il fallut attendre 2020 pour que Parlophone sorte enfin le grand jeu dans son coffret Brilliant Live Adventures avec six concerts en mode résurrection posthume. Parmi eux, Look At The Moon ! (Live Phoenix Festival 97) offre 18 chansons enregistrées en juillet avec Zachary Alford, Gail Ann Dorsey, Reeves Gabrels et Mike Garson. En confiance avec son « meilleur groupe depuis les Spiders en terme de cohésion musicale et d’attitude« , Bowie déclare même : « ce serait un péché de ne pas se produire sur scène quand j’ai un groupe comme celui-ci »… Porté à merveille par ses camarades affutés, Bowie se lance avec une belle énergie dans ce show très accrocheur.

Look at the Moon coverEn ouverture, vêtu de beaux atours d’inspiration indienne, Bowie surprend son monde avec Quicksand joué à la guitare douze cordes avant d’être rejoint par le groupe sur les derniers instants de ce titre si délicat. Encore en mode caresse, The Man Who Sold The World suit, dans sa version planante de 1995. Le calme avant la tempête. Quelques mesures d’un Driftin’ Blues lancent habilement un The Jean Genie de plus en plus déchainé, jusqu’à ce que Bowie achève ce crescendo furieux sur l’exhortation : « Look at the Moon ! » Après ce beau tour de chauffe, Bowie attaque enfin EART HL I NG avec I’m Afraid Of Americans et Battle For Britain [The Letter], dans un alliage de Rock / Drum and Bass très énergique. Viendront ensuite Seven Years In Tibet et Looking For Satellites, témoignant également d’une maîtrise redoutable. En effet, s’il repose sur un robuste quatuor basse-batterie-guitare-claviers, le son du groupe s’appuie aussi sur des bandes enregistrées, dans la lignée du dernier album. En s’appuyant sur ce matériel élaboré en studio, les titres passent l’épreuve du live sans encombre en surprenant davantage avec de nouveaux effets, y compris vocaux.

Lancé à fond, Bowie ressort aussi des classiques – “oldies but goldies” – sans craindre de bien les secouer. Le jeu sans retenue de Reeves Gabrels, qui en fait des tonnes, finit de dissiper les souvenirs confortablement assoupis de certains fans. Amis du minimalisme délicat, passez votre chemin car le reptile Bowie semble très heureux de sa nouvelle peau issue de la mue EART HL I NG. Le funky Fashion parade dans une furia rock. Après une intro déroutante, Fame est véritablement martelé par Zachary Altford, déchiré par Gabrels, parsemé de sonorités de clavecin bien placées sur une touche visiblement ironique. Sur le désormais classique Under Pressure, la voix de Gail Ann Dorsey accompagne David en duo, le temps de souffler un instant en terrain connu. L’intense The Heart’s Filthy Lesson garde toute sa folie lancinante quand Bowie se lance dans des incantations théâtrales sur des percussions de batterie, sur des rugissements de guitare, avec le piano de Garson qui lui assène la touche finale. Le groupe se lance ensuite dans un furieux Scary Monsters (and Super Creeps) qui cogne fort. Encore une fois, la guitare de Gabrels met le feu. Hello Spaceboy subit le même sort sous les coups de Zachary Alford. Little Wonder referme le set principal sur ses trouvailles planantes, prouvant encore une fois que le matériel jailli du dernier album tient bien la scène.

Look at the Moon cover backPour le rappel, Bowie envoie encore du lourd avec Dead Man Walking en première salve, une combinaison idéale pour un groupe qui fonctionne avec maestria dans cette version écourtée. Sur un chant haletant en boucle, Bowie propulse un nouvel arrangement fantastique de White Light/White Heat de plus en plus rock qui pilonne jusqu’à la fin. Puis O Superman de Laurie Anderson crée la surprise… Le temps de reconnaître la chanson, la voix de Gail Ann Dorsey embarque le public, Bowie ne se joignant qu’aux refrains quand il ne joue pas au saxophone. La chanson dépouillée monte peu à peu en puissance entre les appels répétitifs calmement prononcés et la fureur des réponses instrumentales. Pour achever le concert, Bowie taquine le public en lui demandant de rester “juste une minute ou deux” avant que Gabrels ne joue le riff si distinctif de Stay. Le groupe lance alors ses dernières forces avec des effets sur la voix de Bowie dans une version boostée et monstrueusement ravageuse… ou ravagée selon les goûts. Perdu dans ses hallucinations de cocaïnomane, le Thin White Duke aurait-il reconnu sa créature de 1976 dans cet ultime coup de grâce ?

Au clair de lune d’un festival anglais, la performance Phoenix capte Bowie à l’œuvre dans son alchimie favorite : la transmutation de ses chansons au travers d’une nouvelle esthétique. Dans le feu de l’album EART HL I NG, Bowie embrase et consume ses classiques pour leur redonner une force nouvelle. Moon Dust Will Cover You !

Amaury de Lauzanne

David Bowie – Look at the Moon! (Live Phoenix Festival 97)
Label : Parlophone
Date d’enregistrement : 20 juillet 1997
Date de sortie : 30 octobre 2020 (en support physique)