Joueuse

affiche_4.jpgLa trame est mince, délicate, et les regards à  l’affût de la moindre erreur de parcours. Il y en a peu. Mais il y a aussi très peu de cinéma, aucune chair à  l’écran, aucune passion dévorant l’image, aucun corps en extase. Il y a Sandrine Bonnaire, d’un magnétisme immense et d’une sensualité intérieure exacerbée, à  l’encontre de son personnage.

Caroline Bottaro, dont c’est le premier long, n’invente rien ici ; adaptation d’un livre en même temps que la mise en image renvoie à  La Fièvre des échecs, film muet russe de 1925 dont il reprend les principales inventions de cadre (notamment l’échiquier formé par les carrelages noirs et blancs dans une prise de vue verticale), Joueuse manque grandement de personnalité, tant dans son scénario que dans le style inodore d’une mise en scène télévisée. Mais la confrontation, aussi pauvre soit-elle malgré la force de ce qu’elle parvient à  dire pour ce qu’elle est (comment la passion peut changer la dépendance de certains individus face à  leur position sociale), finit par toucher dans l’alchimie qui opère entre Sandrine Bonnaire et Kevin Kline, trop rare sur les écrans. Francis Renaud, en clone de Jacques Gamblin, est lui aussi parfaitement à  sa place même si son rôle ne lui permet pas d’atteindre une telle vitalité, tout comme les autres seconds couteaux, emprisonnés dans la fausse retraduction du ‘vrai’, cette gêne qui s’installe à  partir de dialogues qu’on croit naturels mais qui ne sont que pesants.

Ainsi le pire réside dans la relation mère/fille, d’une atroce lourdeur et d’une naîveté infantile, ou bien dans la tentative d’excursion féministe ( » , La Dame est plus puissante que le Roi, c’est incroyable non?! « ). Sans être un échec total, Joueuse limite ses connaissances à  la simplicité d’une histoire universelle mais qui échoue à  en retraduire l’intensité et l’incarnation dans son développement, et dont chaque figure se retrouve caricaturée par la simpliste vision de la cinéaste. La folie, qui une milliseconde pointe son nez dans le regard de l’actrice, finit par décamper, et le film se retient d’aller plus loin, jusqu’au bout, là  où justement le sujet devient passionnant. En restant à  la surface, Joueuse frôle la niaiserie et, de ce fait, s’oublie très vite, là  où hargne et angoisse, dépassement de soi et reconsidération sociale auraient offert de plus amples horizons et, avant tout, une émotion.

Jean-Baptiste Doulcet

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Sans révolutionner les codes du genre, Joueuse propose néanmoins une attachante et modeste variation sur le déterminisme social. La scène la plus signifiante du film étant l’entrevue entre Hélène (Bonnaire toujours lumineuse demeure une des seules actrices à  incarner le quotidien et les gestes ménagers) et l’organisateur du tournoi d’échecs, ; en quelques mots, celle-ci met à  jour la force des habitus (chers à  Bourdieu) et la quasi impossibilité à  s’extraire de ses origines. Dans la capitulation progressive des personnages et la réconciliation générale annoncée, on peut bien sûr voir une vision angélique et niaise, mais à  l’inverse, on peut adhérer à  l’humanisme de Caroline Bottaro. Enfin, il y a quelque chose de mystérieux et de fascinant dans les parties d’échecs clandestines entre Hélène et le docteur Krüger, mentor bourru au grand coeur. L’aspect d’addiction et d’obsession a aussi sa place dans Joueuse, ou comment la passion d’un jeu (encore terriblement connoté ‘ appartenance à  une classe sociale’) contamine l’existence de chaque jour et de chaque nuit.

Prévisible et restant en effet en surface, Joueuse, encore une fois, vaut beaucoup par l’interprétation fine et sobre de Sandrine Bonnaire, dont la métamorphose est filmée au plus près avec tous les infimes changements provoqués par la possibilité d’une liberté qui se dessine, puis se concrétise.

Patrick Braganti

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Joueuse
Film français de Caroline Bottaro
Genre : Drame
Durée : 1h40
Sortie : 5 Août 2009
Avec Sandrine Bonnaire, Kevin Kline, Francis Renaud, Valérie Lagrange,…

La bande-annonce :

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