Incendies

La quête des origines et des racines demeure une inspiration majeure pour tous les artistes, quelque soit leur mode d’expression, tant elles déterminent toujours ce que les êtres humains deviennent et ce dont ils sont faits, parfois à  leurs corps défendant. Adapté d’une fameuse pièce signée de Wajdi Mouawad, considéré comme la révélation du théâtre contemporain de ces dernières années, invité associé d’Avignon en 2009, le film Incendies réalisé par le canadien Denis Villeneuve en est la transposition magistrale et inspirée, s’affranchissant des contraintes du spectacle vivant en optant pour la raréfaction des dialogues et la fluidité des transitions temporelles.

Incendies tient en quelque sorte du jeu de pistes à  la recherche de vérités sur un territoire moyen-oriental (il s’agit en fait du Liban dont Wajdi Mouawad est originaire, mais le nom du pays n’est jamais mentionné, ajoutant du coup à  l’universalisme du projet) ravagé par la guerre civile pendant les années 70. Mais insistons encore une fois, : il pourrait bien s’agir de n’importe quelle contrée à  une époque quelconque car les ravages et les traumatismes d’un conflit, surtout lorsqu’il intervient sur un espace limité mettant en présence des habitants d’un même pays ou d’une même région séparés par leurs croyances religieuses, sont éternels. Au travers de la démarche initiatique de Jeanne et Simon, deux jumeaux qui viennent de perdre leur mère et se retrouvent dépositaires d’un étrange testament, le réalisateur s’interroge – et les spectateurs par ricochet – sur la mémoire, la transmission, la force des promesses et la confrontation. Cette dernière , s’exerce d’ailleurs à  plusieurs niveaux, tout d’abord dans l’attitude opposée de Jeanne, qui saisit l’occasion pour tenter de démêler l’écheveau complexe et mystérieux que fut l’existence de sa mère, et de Simon, beaucoup plus distant vis-à -vis d’une mère peu présente, ; ensuite dans le choc plus global des cultures et des civilisations entre Orient et Occident, qui constitue de plus en plus la caractéristique indéniable du siècle dans lequel nous entrons, ; enfin dans l’intime, qui fait de chaque trajectoire une histoire avant tout personnelle et unique, confronté au destin collectif de communautés bousculées par une actualité violente qu’elles n’ont pas d’autre choix de subir.

Incendies fait aussi le pari de la frontalité, de ne rien occulter des lésions souvent irréversibles, aussi bien physiques que mentales, qu’engendre la guerre, avec son lot de sauvagerie et de barbarie. La scène d’ouverture remarquable, sur la musique de Radiohead, qui nous happe – et le film ne nous lâchera plus pendant plus de deux heures – montre ainsi en quelques minutes comment on transforme un jeune enfant déjà  spolié,  de son innocence en petit et futur monstre de guerre au regard lourd et désabusé. l’éclatement de la narration sur plusieurs temporalités et plusieurs lieux, si elle requiert d’évidence l’attention du spectateur qui va saisir au fur et à  mesure les liens et les implications des multiples rebondissements, doit aussi sa lisibilité à  la maîtrise de la mise en scène. Le film tire aussi tout son parti des contrastes entre les ambiances glauques et blafardes (au Québec mais également dans les lieux anonymes comme hôtels, immeubles ou autoroutes) et la lumière blanche et aveuglante des montagnes rocailleuses comme des déserts poussiéreux du Moyen-Orient, décors naturels et grandioses d’un itinéraire romanesque qui a tout de la tragédie grecque. Servi par une interprétation remarquable (Lubna Azabal est d’une sobriété exemplaire, construisant son jeu sur l’intériorité et Mélissa Désormeaux-Poulin, qui interprète sa fille Jeanne, est une révélation dans la justesse de sa composition), Incendies est donc une oeuvre extrêmement aboutie, à  l’âpreté viscérale et captivante, qui évite tout pathos ainsi que tout lyrisme excessif et lacrymal jusqu’à  son issue et vous poursuit bien après sa projection.

Patrick Braganti

Incendies
Drame canadien de Denis Villeneuve
Durée : 2h10
Sortie : 12 Janvier 2011
Avec Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette, Rémy Girard,…

La bande-annonce :