Lou Doillon – Lay low

Lou Doillon - Lay low

Quand la fille de Jane Birkin et Jacques Doillon s’est mise à la musique on a hésité à la suivre. On y a pourtant découvert une interprète taillée pour la folk. Elle remet le couvert ces jours-ci avec un second album parfois un peu trop lisse pour rendre hommage à son joli brin de voix.

Lou-doillon-lay-low-coverFranchement après passage du temps, le premier essai de Lou Doillon, actrice, mannequin et fille de ses notoires parents, à fait long feu (follet) dans ma discothèque, malgré les radicelles évidentes d’un talent naissant . Dans un flot continu de sorties, dans un genre aux confins du folk, il en faut désormais plus qu’une bonne dose d’envie, pour pondre un de ces albums qui deviennent indispensables, quand bien même son parrain et juge en agencement de la musique se dénomme Étienne Daho. Et les mélodies un peu tenues de la belle n’auront pas suffi à m’accrocher durablement. Pourtant, j’en avais envie. Mais non. Pshiiiit l’album uno.

>Une grosse paire d’années après le premier essai, Lou Doillon remet le couvert musical, forte maintenant de la certitude qu’elle n’est pas ridicule dans le monde de la musique et que personne ne met même en doute ses capacités pour l’exercice. La preuve, l’album Places a eu son petit succès d’estime, et la charmante trentenaire a été sacrée aux « Victoires de la musique » (le barnum de l’industrie, pour l’industrie), dans la catégorie artiste féminine de l’année.

Alors Lou Doillon affirme son sillon. Elle creuse la veine folk pop qu’elle n’avait qu’esquissé précédemment -hésitant entre pop frenchie et folk -, de manière beaucoup plus évidente, comme certaine désormais de ne pas avoir à s’excuser d’être là, de faire de la musique, ce type de musique et de donner au monde le rendu sur album des mélodies qu’elle composait jadis seule dans sa chambre, à la gratte sèche. Musicalement, c’est aussi ce qu’on ressent. Doillon s’affirme, essaie de placer plus profond le soc de sa petite charrue musicale. Ses morceaux prennent du corps, de l’assurance stylistique, de l’électricité parfois aussi, mais encore trop rarement.

Dans ce nouvel essai je retrouve l’élément majeur, inégalable et je l’avoue un peu envoûtant. Cet ingrédient dont la nature l’a doté et qui m’avait titillé dans son disque inaugural: sa voix. Partant ronde  dans les basses, fêlée dans les aiguës , la voix de Lou Doillon évoque les chanteuses country, les tics de l’Amérique profonde en moins. Je pourrais être amoureux de la Lou Doillon gravure de mode à la française qu’on repère dans les magazines où elle a souvent posé, mais je suis « seulement » conquis par sa voix. Infiniment française, infiniment taillée pour le folk en français, si tant est que ce genre ait de vrais hérauts féminines dans l’hexagone. C’est l’atout majeur de sa courte discographie.
Lou Doillon n’hésite pas , parfois , à donner de la voix, du sentiment brut, et c’est dans ces moments que je m’enthousiasme le plus. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour qu’elle aille tâter les terres plus rock de la mère PJ Harvey... Mais non. Lou Doillon contient (trop) souvent son grain de folie et restreint ses horizons au mode de la ballade folk parfois rythmée.
Pour son second essai musical, Lou Doillon décide, c’est évident  aussi, d’avoir un peu plus d’ambitions stylistiques et un avis plus tranché sur ce à quoi doit ressembler un disque de Lou Doillon. Une chanson jolie ne lui suffit plus. Elle s’éloigne de la variété. Il semble désormais qu’elle tente l’ornement, le verre ciselé . Ça se ressent dans les arrangements du disque. Lou Doillon est allé chercher  Taylor Kirk Timber Timbre  dans sa cabane sous la neige. Et l’a ramené dans son univers. Ça se ressent dans la richesse de l’ornement. Le bonhomme se fait arrangeur génial, paysagiste. Trop parfois. On se demande qui de l’interprète ou de l’arrangeur tire la couverture à lui, au gré de certains titres où les trouvailles sont moins dans le chant et les mélodies  que dans l’univers apporté par l’écrin musical . Heureusement que Lou Doillon semble s’en être rendu compte et essaie du coup d’éviter  de toujours tutoyer les éthers qu’on contemple sur le perron de la cabane enneigée, pour apporter à l’album un peu de tangible, de  presque pop  cf le single where to start? qui tourne en radio. C’est son album, elle sonne la fin de la contemplation du travail d’autrui quand elle le décide, wokay?

L’ensemble est beaucoup plus riche que le premier essai. Plus maîtrisé aussi. L’artiste a saisi les rennes de son parcours musical, elle tâtonne moins et tatillonne plus. Lay low est plus enthousiasmant que son grand frère, plus abouti, plus unitaire et aussi plus complexe dans sa richesse musicale, où pointent même des 6 cordes amplifiées n’en déplaise aux barbus adeptes de la chemise de bûcheron.
Le disque revient souvent dans mon lecteur en ce moment. Il est un parfait compagnon des dimanches d’hiver à la maison, quand on a pas envie de piquer le nez dehors parce qu’il fait boueux et qu’on a pas envie de revenir avec des bottes crottées devant la porte. Il se sirote volontiers un verre de rouge à la main en feuilletant un mook. Oui je sais c’est un peu cliché de bobo à la campagne, mais la voix de Lou Doillon et un parfait compagnon à une journée oisive et charmante dont la musique sait se faire discrète et enchanteresse.

Il continue cependant de me manquer un poil plus de ces mélodies qu’on fredonne sans y penser, parce que l’enchaînement de notes est parvenu à se frayer une place de choix dans la boîte crânienne. Ce genre de mélodies qu’on muse par hasard en faisant le ménage , en se demandant ce qu’elle viennent fich’ dans un moment aussi incongru. Le nouveau Doillon se déguste avec appétit mais ne donne pas forcément ce petit supplément de refrain qui font les albums qu’on n’oublie pas.

C’est toujours le même reproche, mais contrebalancé par la richesse musicale de l’ensemble, que j’apporte au style Doillon. Une voix et un genre taillé pour faire émerger la ballade pop(ulaire) qu’elle tutoie souvent sans la ferrer jamais. Le nouvel essai est deux fois meilleur que ses premiers pas dans le monde des disques. Reste à savoir si le passage du temps me laissera aussi complaisant que je le suis pour le moment, envers ce disque cocon où j’aime me prélasser en cet hiver étrange qui pointe tardivement ses frimas.

3

Denis Verloes

Lou Doillon – Lay low
Label : Barclay / Universal
Sortie : Octobre 2015