Jérôme Minière – Une Clairière : un brûlot timide et un chef d’oeuvre

L’ancienne signature du label Lithium Jérôme Minière nous donne de ses nouvelles en direct de ses terres québécoises d’adoption avec Une Clairière qui n’est pas seulement un disque mais aussi et surtout un brûlot timide, une critique acerbe de notre virtualité et de nos petits travers. Sans aucun doute un disque jalon à ranger aux côtés de L’Imprudence de Bashung et le triple album de Mendelson. Attention Chef d’oeuvre !

jerome miniere photo
© Dan Popa

 

On peut bien dire le désenchantement sans faire la morale, sans se terrer dans une posture atone et repliée sur soi, dans un entre-soi sclérosé. C’est ce que nous dit Jérôme Minière tout au long de Une Clairière de sa voix frêle, un désespoir murmuré dans le creux de l’oreille.

Et si on était un peu passé à côté de Jérôme Minière, lui dont le travail est reconnu dans son pays d’adoption, le Québec ? Et si on réparait enfin cette injustice avec Une Clairière ? Est-ce cette signature avec le label français Objet Disque qui explique ce regain d’intérêt pour l’univers de Minière ? Ce même label tenu par l’excellent Rémy Poncet alias Chevalrex qui nous a déjà offert quelques merveilles, le sublime dernier opus de Midget ou encore le St Homard de Mocke. De là à penser qu’Objet Disque se pose en digne héritier du label Lithium avec Ici D’Ailleurs… Ce ne sera pas la réédition de Medium Crash de Perio (pour l’anniversaire des vingt ans de la sortie du disque) qui viendra contredire cette impression. Une fois posés les bases, on peut s’intéresser au présent d’un artiste qui ne se complaît pas dans son passé.

Justement, au contact de Rémy Poncet, Jérôme Minière semble vouloir ouvrir ses climats  dans des sentiments opposés entre décloisonnement et claustration. Ouvert/Fermé… Eteint/Lumineux… Blanc/Sombre… Une Clairière est un disque paradoxal, pas si facile à pénétrer qui irrite les sens. Il délaisse la neutralité et les humeurs feutrées. Tout sent ici la neurasthénie et la solitude sourde. Comment dire l’horreur banale sans être désabusé ? Il n’y a guère que Quelqu’un quelque part (2004) de Pierre Bondu que l’on peut rapprocher d’Une Clairière pour cette même lucidité de nos faiblesses.  Relisez le texte de Mieux que Personne de Bondu et vous y reconnaîtrez la même clairvoyance glaciale.

Une Clairière évolue entre une dissection de nos rapports au virtuel dans une analyse houellebecquienne et des interrogations presque politiques sur notre société capitaliste. En ouverture du disque dans La Vérité est une espèce menacée, les premiers mots prononcés par Jérôme Minière ressemblent en bien des points à une forme de manifeste artistique, « J’espère que je ne te fais pas la morale » nous dit-il dans un dialogue entre lui et l’individu seul face à lui sauf que son discours se fait mouvement et peut passer du singulier au pluriel. Juste raconter ce que je vois et ce que tu vois les bouts de phrases ramassés sur les téléphones portables, les photos d’amis, combattre le trop-plein d’informations qui nous affole et nous parasite, oser le collectif et l’individuel. On entend cette lucidité qu’on aime tant dans les disques d’Arnaud Michniak, une lucidité qui refuse le changement, un constat tout au plus. A la fois empathique et distant,Les êtres humains devenus produits, produits de consommation, produits consommables, produisant de l’espace et du vide.Les êtres humains devenus produits, produits de consommation, produits consommables, produisant de l’espace et du vide. Une Clairière n’impose rien.

Musicalement, le disque se fait versatile piochant chez le Gainsbourg de Requiem Pour un con (La Vérité est une espèce menacée), dérivant entre spoken word et chant, hésitant entre sécheresse avec Une Clairière et ouverture comme sur Cascades, morceau où l’on sent peut-être le plus l’apport de Chevalrex. Convoquant aussi bien le Krautrock (La Beauté) que le Beck des débuts (La Somme Des Jours), Jérôme Minière réussit le tour de force de parvenir à faire un disque absolument cohérent malgré un jeu permanent avec la rupture stylistique. En chute d’ Une Clairière sur Vaste, il ranime même ses penchants Ambient, ceux que l’on croise chez Herri Kopter, son double électronique.  Avec Une Clairière, Jérôme Minière fait une synthèse de ce qui le forme esthétiquement et humainement.

Dans notre rapport intime à l’histoire de la musique, nous avons tous des disques jalons, Unknown Pleasures de Joy Division, Hunky Dory de David Bowie, Les Marquises de Brel. Une énumération de frissons qui se fiche bien de la chronologie. Au même titre que L’Imprudence d’Alain Bashung, que Remué de Dominique A, que le Triple album de Mendelson, Une Clairière de Jérôme Minière est un disque qui fera date car il fait sens. Un chef d’oeuvre tout simplement.

Greg Bod

Jérôme Minière – Une Clairière
Sortie le 14 juin 2019
Label : Objet Disque