[Interview] Pascal Bouaziz (2e partie) : « La postérité, Fuck Off, j’ai envie de dire »

La musique de Pascal Bouaziz et Mendelson n’a jamais été complexe, elle a toujours été ambitieuse, s’adressant aussi bien à la sensibilité qu’à l’intelligence de son auditeur. On se rappelle cette phrase mantra de Mendelson, J’aime pas les gens. Et si finalement alors que Le Dernier Album de Mendelson vient de paraître, on prenait conscience à travers ces chansons testamentaires que derrière le sarcasme et le cynisme s’est toujours caché un humaniste, la preuve avec cet échange nuancé et réfléchi avec le leader d’un des groupes les plus passionnants que la scène musicale ait connue.

© Patrice Mancino

(La première partie à lire ici)

Depuis vos débuts avec Mendelson, les termes que l’on retrouve le plus concernant la discographie du groupe, c’est une forme de revendication de radicalité mais aussi un jeu avec les formats, je pense aussi bien aux Heures sur le triple-album qu’à vos titres plus courts. Il y avait chez Mendelson quelque chose de rare dans la musique d’ici, c’était une ambition et une véritable écriture sociale allant jusqu’ à un acte éminemment politique avec Sciences Politiques en 2017. Pourquoi alors ne croyez-vous plus tellement en la postérité ?

 Pascal Bouaziz : Il y a cet éditeur, Mediapop Editions qui a sorti, à l’occasion de la parution de l’album, l’intégrale des textes de Mendelson. Et l’album, je l’ai dédié aux 25 personnes car pour moi, en France, il n’y a pas beaucoup plus que 25 personnes qui suivent vraiment Mendelson, qui connaissent et apprécient notre travail. Je crois bien qu’il n’y a pas beaucoup plus que 25, bon, j’exagère peut-être un peu. Vous êtes peut-être 1000 mais cela ne change pas grand-chose car quand vous débarquez à Tours par exemple, s’il y en a 1000 en France, il n’y en a que 25 à Tours. En 25 ans, nous avons connu des histoires d’amour avec certaines salles de spectacle qui nous ont beaucoup soutenu à certains moments. Des salles où le programmateur aime beaucoup ce que l’on fait, il se prend des murs et au bout d’un moment il se fatigue et vous allez voir ailleurs. De voir qu’année après année, concert après concert, vous constatez qu’il n’y a pas plus de monde et que cela ne bouge pas, la postérité en prend un coup. J’ai arrêté d’y penser parce que c’est ça qui a fait que j’ai réussi à écrire cet album, j’ai essayé d’écrire un message pour la postérité. Les 1000 personnes ne feront jamais 100 000 ou même 10 000 dans 20 ans. La postérité, maintenant je m’en fous ! Je sais ce que l’on a fait et comme on a réussi la fin, cela me soulage beaucoup, cela me contente. La postérité, « Fuck Off », j’ai envie de dire.

Quel regard portez-vous sur la scène française et comment expliquez-vous, malgré des critiques plus qu’enthousiastes, cet « insuccès » que vous épingliez dans Le Succès avec Bruit Noir. Ce qui est en train d’assassiner le Rock français ce serait la paresse collective, une responsabilité qui court de la presse qui ne sait plus aller chercher à un public toujours plus consommateur ?

 Pascal Bouaziz : (Long Silence) Je pense que c’est un peu passé pour moi. Cette question avait du sens pour moi à l’époque du Bruit Noir quand on a sorti cette chanson. Maintenant, je suis plus dans un constat darwinien, Mendelson, cet animal ne devait pas avoir la capacité de survivre dans cet environnement particulier. On peut ensuite toujours blâmer l’environnement, l’animal que l’on s’est trouvé être, il n’y avait pas assez de fruits sur les arbres, de vitamines ou il n’était pas assez utile à d’autres éléments constitutionnels de cet environnement pour qu’il puisse continuer. La plupart des critiques suivent des modes, par moment, il y a des sortes de trucs un peu ridicules où tout le monde s’emballe au même moment sur le même truc, vous ne comprenez pas bien pourquoi. C’est beaucoup de phénomènes d’entrainement, je ne sais pas si vous avez lu René Girard, il parle des phénomènes d’imitation. L’homme est un singe et il suit des modèles imitatifs donc s’il y a suffisamment de personnes qui suivent une chose, tout le monde va désirer la même chose et tout le monde se déchire pour avoir la même chose au même moment. Mais s’il n’y a pas assez de personnes qui désirent cette chose-là, cela s’étiole et le truc n’a plus de valeur.

La presse, évidemment, la plupart, c’est des suiveurs pas très malins, pas très courageux mais c’est pas grave. Il y a plein d’autres groupes qui fonctionnent avec cette presse là. On peut dire que c’est la faute des gens qui ne sont pas assez curieux, ben non ! Ils ont pas envie d’être curieux pour vous et  ils le seront pour d’autres choses. Je me rends compte en vieillissant que l’on fait vraiment quelque chose de difficile, d’exigeant et en plus quelque chose qui n’est pas identique à chaque fois. Il n’y a pas le côté « Doudou » chez Mendelson où d’album en album, vous retrouvez à chaque fois la même chose. Il n’y a pas la ritournelle, les refrains, le feel good. Il n’y a pas tous ces petits trucs qui font que les choses fonctionnent. On n’est pas un produit d’appel de supermarché. Quand vous allez au rayon librairie du supermarché, vous y trouvez des livres que vous n’avez pas, vous,  l’habitude d’acheter. C’est pourtant les livres qui se vendent le plus et pour la grande majorité des gens, c’est ça la Littérature. Est-ce que pour autant, ces gens-là manquent de curiosité ? Est-ce que l’on ne leur propose pas assez de découvrir autre chose ? Je ne saurai pas répondre à ces questions. Mais c’est notamment pour cela que je pense que Mendelson n’était pas adapté.

Il y a des groupes très exigeants, très difficiles et très rudes qui ont trouvé leur public. Je pense en particulier à quelqu’un comme Gérard Manset. Si vous vous asseyez et que vous écoutez de manière vraiment attentive sa musique, vous vous rendez compte que c’est presqu’inaudible, totalement étrange, qu’il chante de manière absolument artificielle. Ses textes sont difficiles, très noirs, parlent de sujets qui a priori n’intéresse que très peu de gens,  cela ne l’a pas empêché à un moment d’avoir du succès et d’avoir su le conserver. Sa nature de Gérard Manset a trouvé un écho dans l’écosystème français qui fait que cela fonctionne. L’animal Mendelson ne pouvait continuer à vivre dans cet écosystème. Cela ne sert à rien de jeter la pierre à l’écosystème, c’est comme ça. J’ai une admiration sans bornes pour Philippe Katerine.

C’est quelqu’un qui a réussi, il était un peu comme nous, à ses débuts, dans une sorte d’inadaptation culturelle à son environnement mais lui a trouvé une manière d’être absolument géniale et qui a su trouver un écho absolument fabuleux dans cet environnement. Il a réussi un tour de passe-passe incroyable et en plus il l’a fait avec un de ses meilleurs albums. C’est à la fois miraculeux et inespéré. Pour moi, dans le Panthéon, il est arrivé au même niveau que Brigitte Fontaine et peut-être même qu’il lui mange un peu de la laine sur son dos.

Vous disiez du premier album de Mendelson être déjà à l’époque en dehors des cadres et du son de l’époque. Sur La Dernière Chanson qui vient clore le disque, vous racontez par les personnes qui l’ont formé l’histoire de Mendelson. Vous vous attardez longuement sur Olivier Féjoz avec qui vous avez formé le groupe. Toutes ces collaborations qui font l’histoire du groupe, c’est ce qui explique également aussi un peu le caractère presqu’antagoniste de chacun des disques de Mendelson ?

Pascal Bouaziz : Antagonistes, je ne sais pas mais en tous les cas à chaque album, on a tenu à changer de méthodes et d’outils, de lieux, de manières d’écrire. On a toujours tenu par une sorte de souci personnel à ne pas trop se regarder dans le miroir et à ne jamais se répéter, du moins tenter de ne jamais le faire. C’est bien ca un groupe effectivement car à chaque fois, je peux dire par exemple que tel disque c’est un peu plus l’album d’Olivier Féjoz, celui-là c’est un peu plus celui  de Charlie O, ça c’est celui de Pierre-Yves Louis, ça celui de Jean-Michel Pires. Chaque membre très important du groupe a fait une sorte de période du groupe et moi je ne suis pas aussi génial que Picasso, j’ai besoin de travailler avec des gens pour me renouveler dans mes imaginaires musicaux mais aussi dans l’écriture des textes comme je le disais plus tôt. C’était un vrai groupe en ce sens-là par la nature de sa musique, par le monde qu’il défendait, par ses ambitions musicales.

Mendelson, ce n’est pas Pascal Bouaziz qui est accompagné par des requins de studio, c’est vraiment la musique que l’on imagine ensemble. Le Triple Album, c’est vraiment l’album avec Jean-Michel Pires et Sylvain Jouasson, ils sont super importants pour ce disque. La source, c’est Pierre-Yves Louis et moi autour d’une boite à rythmes. On a commencé cet album ensemble et ensuite on est allé le proposer à Charlie O, Jean-Michel Pires et Sylvain Jouasson. Seuls Au Sommet est la résultante de toutes ces journées que je passais dans un studio à Saint-Ouen avec Charlie O, cela s’est formé à partir de toutes ces musiques que l’on écoutait ensemble, du Funk, James Brown, Fela Kuti, des choses qui faisaient partie d’un amour commun. Le premier album c’est un album à la coloration Olivier Féjoz à 100 %, le second, c’est vraiment l’arrivée du batteur et cette exploration du Free Jazz, de se découvrir à faire de la musique ensemble non plus dans une chambre mais dans des grands lieux avec un public, de jouer avec Noel Akchoté, Daunik Lazro ou Joelle Léandre. Antagoniste, non par contre. Ce qui est vrai, c’est que je ne peux pas écrire un nouveau disque de Mendelson ou de Bruit Noir si le précédent n’est pas encore sorti, n’a pas été entendu et écouté, notamment par les fameuses 25 personnes Une fois qu’il a été entendu, je peux commencer à travailler et à imaginer un autre.

Pourquoi je m’adresse principalement à Olivier Féjoz dans cette dernière chanson ? Parce que je fais une boucle, j’écris La Dernière Chanson et je me souviens de la première. Et puis Olivier m’a appris à jouer de la guitare. C’est ce que je raconte à la fin du chapitre, c’est le temps retrouvé. J reviens sur les débuts à la fin. On a rêvé de ce groupe ensemble, on l’a fondé ensemble. C’est donc normal que quand je raconte la toute fin je me souvienne du gars avec qui on a commencé le truc. On a vécu ensemble, on a cohabité, on était en colocation pendant des années. C’est pas une blague quand je dis que l’on a appris ensemble à être humains, c’est vraiment une rencontre fondatrice et pas seulement musicale. Avec Olivier Féjoz, j’avais vraiment l’impression d’avoir rencontré le Prince Mychkine de L’Idiot de Dostoïevski. S’il lit ça un jour (ce qui est peu probable), il va penser que je suis complètement dingue. Pour moi, il était comme ça comme le Prince Mychkine, un être humain que l’on ne rencontre pas tous les jours. C’est quelque chose qui est venu tout seul aussi au moment de finir d’écrire le dernier chapitre. C’était aussi lui envoyer une petite carte postale pour lui dire que c’était la fin, c’est comme une lettre. Quand j’ai rencontré Olivier, j’avais 18 ans, quand le premier album est sorti, j’en avais 25. On avait déjà 7 ans d’amitié très forte. Ce sont des moments formateurs.

Une autre rencontre qui a été majeure pour moi, c’est celle avec Vincent Chauvier. Je l’ai rencontré en 1994, on a signé le contrat avec lui en 1995. J’avais 23 ans à l’époque, autant vous dire que ça fait de l’effet à cet âge-là de rencontrer quelqu’un avec un tel aplomb, une telle force de conviction, une telle foi du charbonnier dans les groupes de son label .Je n’ai jamais rencontré depuis un être humain qui n’était pas musicien qui prenait autant la musique au sérieux, c’était quasi vital pour lui. Si une chanson qu’il aimait à l’état de maquette ne trouvait pas une version digne d’intérêt en studio, il n’en dormait pas de la nuit, vous appelait en transe le matin et vous renvoyait en studio pour que vous réenregistriez la chanson telle que lui, il avait espéré qu’elle soit.

Il y a des artistes très solides qui lui ont ramené des albums qui avaient coûté chers, dans des studios couteux, dans lesquels ils avaient passés beaucoup de temps. Cela pouvait avoir coûter le voyage, les musiciens, le studio et le producteur célèbre. Vincent Chauvier disait «Non, ce n’est pas à la hauteur, je ne peux pas le sortir. Non, il faut repenser la chose, on s’est trompé ». C’était parfois difficile de travailler avec quelqu’un qui avait une telle certitude sur son sentiment interne. Là aussi, c’était très formateur de se dire « La musique, c’est sérieux. Les disques, c’est sérieux. C’est pas Carlos. Le monde du disque, c’est sérieux. C’est pour de vrai et ce n’est pas juste pour montrer ta gueule un soir sur une scène ou pour aller à la Fête de la Musique. »

Vincent était ce mentor extrêmement exigeant et difficile. A chaque fois qu’il venait à un de mes concerts, quand je sortais de scène, je n’avais pas le temps de respirer qu’il me démontait le concert du début à la fin, parfois, c’était très difficile. «Ça, ça va pas…. Ça, ça va pas…. Ça, ça va pas….». C’est aussi une école d’exigence, j’ai compris que l’on ne monte pas sur scène sans savoir que l’on monte sur scène. Il faut être respectueux du temps des gens, de son propre travail, de ses ambitions. Tout était suivi, vérifié. Les notes de pochette étaient aussi importantes que les paroles. On s’engueulait pendant des jours et des jours sur les choix de photos pour les pochettes.

Stéphane Grégoire d’Ici D’Ailleurs, c’est un tout autre personnage. Ce sont deux êtres humains fondamentalement différents, deux gros fans de musique pareillement mais une toute autre approche de l’accompagnement. Stéphane Grégoire dit des choses qui n’ont l’air de rien, c’est comme une espèce de technique plus en mode Maître Zen. Vous discutez avec lui et l’air de rien, il vous glisse une phrase qui change votre perception en profondeur. C’est aussi une autre manière de partager autour de votre musique, c’est beaucoup moins conflictuel. C’est aussi un compagnonnage, Stéphane Grégoire a commencé l’aventure Ici D’Ailleurs au même moment où nous amorcions notre histoire avec Mendelson. On a peu près le même âge. Il y a aussi un lien de confiance. C’est une sorte d’amitié sans que l’on se connaisse si bien que ça.

On parle beaucoup de l’influence du label Lithium sur la scène d’aujourd’hui. Cela vous semble exagéré ou pas ?

Pascal Bouaziz : Je n’en sais rien, moi mais si les gens le disent c’est que cela doit être vrai. Ceci dit, le catalogue de Lithium plaide pour lui. Des labels à l’époque, il y  en avait une belle tripotée qui sortaient des albums, qui faisaient les couvertures des Inrocks dont plus personne ne parle aujourd’hui. Ça c’est un truc génial à faire, ressortir des vieux numéros des Inrocks des années 90, début 2000 pour voir quels groupes français font les couv’. Il y avait plein de labels qui avaient plus de couvertures et de succès que Lithium, plus soutenus, plus fêtés, plus aidés, encouragés et qui n’ont rien laissé dont personne ne peut citer la moindre chanson ou le moindre groupe.

Diabologum a marqué les mémoires, je me rends compte en pratique dans cette tournée que je fais avec Michel Cloup autour d’A La Ligne, l’adaptation du livre de Joseph Ponthus. Les gens disent à Michel Cloup avoir commencé à penser avec Diabologum. Il y avait à l’époque des groupes amis qui n’étaient pas signés sur Lithium, je pense aux Married Monk qui ont apporté des outils pour faire en sorte que le Rock Français existe. Mais pour revenir à Lithium, forcément la foi qu’avait et que véhiculait Vincent Chauvier laisse forcément des traces sur le long terme, c’est normal que cette exigence-là paye à un moment ou un autre.

Dans Manifestation, sur le premier Bruit Noir, vous parliez des cons dans les manifestations. Dans Soulèvement, sur Sciences Politiques, vous espériez une réaction populaire. Si je vous dis qu’avec le mouvement des Gilets Jaunes, je me croyais parfois dans Manifestation. Pascal Bouaziz visionnaire ?

Pascal Bouaziz : Je déteste tenir des propos politiques et les chansons même quand elles ont une pensée politique, cela reste dans le cadre de la chanson.  La chanson Manifestation n’a pas été dirigée contre le mouvement des Gilets Jaunes d’autant qu’elle a été écrite bien avant. C’était plus le souvenir de me retrouver moi-même dans des manifestations que je croyais légitimes et de me faire surprendre par la foule. Vous croyez défendre une bonne cause mais vous vous rendez compte que la foule se met à scander un truc qui vous révulse. Cela m’est arrivé, notamment, dans ma jeunesse d’aller à des manifestations pro-palestiniennes et d’être d’un coup saisi dans un mouvement de foule par des slogans antisémites. C’est ce souvenir-là et puis Bruit Noir ce sont des pensées qui ne sont pas constantes, des surgissements, presque des démangeaisons, des prurits que je tiens à laisser sans filtre, qui sortent et ne sont pas justifiables dans un discours a posteriori mais je veux que Bruit Noir ne puisse pas être justifiable. Ces chansons n’ont pas être justifiées autrement elles n’ont plus d’intérêt. Je suis mal à l’aise avec cette chanson. Parfois je me reconnais dans cette détestation de la foule, dans cette haine de la pensée de foule. Comme disait Léo Ferré, « La pensée mise en commun est une pensée commune ».

Une autre partie de moi-même espère une mobilisation générale, un soulèvement, un grand mouvement de décence commune comme dit Michéa qui fasse que la saloperie libérale ne puisse plus avoir de voix à chapitre (ça y est, je me mets à parler politique), qu’on ne puisse plus écouter un ministre et que dès qu’il prend la parole, on lui lance des tomates, qu’on lui foute du goudron et des plumes comme dans Lucky Luke, que ces gens-la ne puissent plus, ne serait-ce qu’oser prendre la parole. C’est pas qu’on les empêcherait, c’est qu’ils auraient tellement honte de tenir leur discours qu’ils ne pourraient plus le faire. Il y a une partie de moi qui espère cela, il y a une partie de moi qui espère que François Rufin devienne dictateur et que si c’est pas moi qui deviens Dictateur mondial autant que ce soit François Rufin, on mettrait Denis Robert comme ministre de la Justice, Michéa on le mettrait à la Culture, ah non on le mettrait aux Sports vu qu’apparemment il aime bien les conneries de Foot. Frédéric Lordon, ministre de l’intérieur. David Dufresne, ministre des Armées. Serge Halimi, porte-parole du gouvernement… Peut-être que ce gouvernement serait difficile à vivre au jour le jour (Sourire).

Sur Algérie, vous évoquez ce soulèvement national face au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika, cette marche fière contre son Frankenstein de président, vous évoquez aussi votre judaïté, cette nostalgie étrange pour un pays justement disparu. De quoi est née cette chanson que l’on ne parvient pas vraiment à définir, déclaration d’amour, d’incompréhension, recherche de racines ou impression de déracinement ? Jamais vous ne donnez de réponse mais plutôt de nouvelles questions. 

Pascal Bouaziz : Je trouve sans vouloir vous offenser que votre question tende à simplifier le propos de la chanson. La judaïté, c’est une question très difficile pour moi. Je ne peux pas dire « Je suis juif », je ne peux dire que je suis juif que dans le regard des antisémites parce que j’ai un nom, des ancêtres. Je me sens juif par mes lectures, par mes amours, par une sorte de désir pas bien clair mais sur le papier, je ne le suis pas. Pour un rabbin, par exemple, je ne suis pas juif. Mais la judaïté n’a pas de sens univoque pour moi, c’est pour ça que la chanson Algérie existe aussi. Pourquoi le groupe s’appelle Mendelson, un nom juif ashkénaze,  alors que j’ai un nom, Bouaziz,  qui est porté dans le monde arabe par des juifs bien sûr mais aussi par des musulmans plus à consonnances arabes ? Ce choix du nom de groupe, est-ce une manière de lever cette ambiguïté ? C’est une histoire tellement compliquée et la chanson dure 20 minutes. J’essaie de ne pas être aussi simple que ça dans la chanson. Pourquoi arrive-t-elle à ce moment-là ? C’est peut-être pour expliquer tout simplement au moment de sa mort pourquoi cela ce groupe s’appelle Mendelson.

Il y a cette phrase de Bayon qui m’a  toujours interrogée, il disait quelque part à peu près ceci, que prendre un pseudo c’est vouloir à la fois prendre un masque et vouloir s’en débarrasser. Je me disais « Mais qu’est-ce qu’il raconte ? » mais en fait c’est exactement ça Mendelson. C’est un masque pour inventer un groupe mais aussi masquer d’autres choses et en même temps le masque vous révèle et est signifiant. Pour la judaïté, c’est pour cela que je dis Juif disparu à l’intérieur de lui-même. C’est une impossibilité d’être et d’être autre chose aussi. C’est compliqué, c’est pour cela qu’il faut que je fasse gaffe à ne pas trop en parler. La chanson me permet de dire des choses que je ne sais pas dire autrement. C’est pour cela que j’écris des chansons essentiellement, en chanson je sais dire des pensées que je ne sais pas dire ou même correctement penser autrement.

Sur Les Chanteurs, vous dites :

Je me croyais poète
Prophète génie,
Je ne crois plus comprendre que les incompris
J’écoute le silence
Que fait ma musique
Quel vacarme quand
Personne n’applaudit
Je n’ai plus rien à dire
Et toi ma sœur
Tu chantes encore ici
Tu es mon poète
Je suis ton pays

 Pensez-vous qu’à trop vouloir divertir, le chanteur a perdu un rôle social ? Voyez-vous dans ce constat quelque chose de définitif ou pensez-vous qu’il puisse y avoir une prise de conscience ?

Pascal Bouaziz : (Long Silence). Les questions sur les chanteurs engagés, ce sont des questions compliquées…Moi, je fais des choses personnellement, à ma petite échelle, je mène des ateliers avec des gamins dans les centres sociaux, j’essaie de ne pas le faire trop souvent pour que cela ne devienne pas un métier non plus. J’essaie de transmettre la grande joie que c’est que d’écrire un texte, c’est une joie gratuite qui est accessible à tous. La joie de chanter son propre texte devant un public. J’essaie de transmettre cela, après, est-ce que c’est une mission sociale ou est-ce par pur intérêt personnel, c’est parfois délicat de trancher. Il y a une phrase de Nietzsche (Oui je lis Nietzsche et cela peut paraître prétentieux mais en même temps c’est quelqu’un qui est tellement drôle et vivifiant que je ne m’en excuse pas), il parle des gens qui font le métier de faire le bien et qui donc deviennent carnassiers et violents sur leur appropriation de la misère.

La chanson engagée, cela a souvent été une blague, des gens qui prêchaient des convaincus, il y avait quelque chose d’un peu dégoûtant dans cette autosatisfaction, cette certitude d’être du bon côté, de détenir la vérité, de chanter « le bien » et en même temps je vous dis ça et avec Michel Cloup, on défend un livre qui nous a bouleversé, l’auteur et le mec nous ont bouleversé, l’histoire, les gens qu’il a rencontrés. On a eu envie de défendre cette parole-là, ces solidarités, ces entraides ouvrières. Est-ce un plan ? Non ! Est-ce que l’on est conquis ? Oui ! Michel est conduit vers ce projet parce qu’il est né fils de paysan et cela structure sa manière de voir le monde , de parler aux gens. Moi, j’ai grandi en banlieue, cela structure aussi ma manière de voir le monde. Quand je parle avec des bourgeois, j’ai tout de suite comme une sorte de truc à l’intérieur  qui me fait me dire « Je ne sais même pas si je suis vraiment habilité à parler avec vous ». J’ai ces sentiments internes, très forts, de ne pas être habilité à prendre la parole. C’est pour cela que je rêve d’un monde où les gens qui sont habilités à prendre la parole ne le soient plus et que ce soient les autres. Si le public a envie de retrouver l’élément politique dans la chanson, si l’état de la société le permet ou le réclame, cela viendra assurément.

J’ai beaucoup d’amour pour Colette Magny mais on ne peut pas dire qu’elle ait changée le monde. Hier, lors de notre concert à Mulhouse avec Michel Cloup, il y avait cette fille qui nous disait « Je suis petite fille et fille d’ouvrier, mon grand-père et mon père me racontaient que quand il y avait des concerts comme le vôtre, tout le monde se retrouvait pour aller écouter et saluer le concert. Il n’y a plus cette unité ouvrière. » C’est cela aussi que cela raconte, la fin de cette conscience de classe. Elle est complètement noyée dans une conscience de consommation et de consommateurs. Je vais m’autociter là, après Nietzsche, ce sera encore plus grotesque. Comme je disais dans une chanson, Tu ne rêves plus jamais que de ce que tu pourrais un jour t’acheter. Quand il n’y a plus d’autre rêve que les rêves d’achat, c’est la misère totale. J’ai une espérance étrange parfois et surtout dans le cadre de la chanson mais au quotidien, il adviendra ce qu’il adviendra. De toute façon, on s’en fout un peu de ce que j’espère…

De tous les titres que vous avez écrits avec Mendelson, Bruit Noir et en solo, y a-t-il des titres qui vont sont plus chers que d’autres, ces morceaux qui ont peut-être été des sources de déclics. On pourrait bien sûr encore et encore citer 1983, Barbara. Je trouve que l’on a vite fait de résumer Bruit Noir aux sarcasmes et à l’humour noir, à l’absence de filtre mais je trouve que des titres comme Adieu, Romy Une Seconde Vie, Il N’y a pas d’autre Rêve ou ce sommet qu’est Algérie sur Le Dernier Disque permettent de distinguer un autre personnage, un autre Pascal Bouaziz. Etes-vous d’accord que dans vos disques, il y a peut-être plusieurs Pascal Bouaziz ?

Pascal Bouaziz : Vous voyez, vous me demandiez tout à l’heure pourquoi nous arrêtons avec Mendelson. Vous êtes la première personne à me parler de cette chanson, Adieu. Vous êtes peut-être une des seules à l’avoir entendue. C’est une chanson fondamentale pour moi dans ma vie, dans ma vie d’écrivain de chansons. D’arriver à écrire cette chanson, c’était un exploit pour moi mais aussi de me dire que j’allais réussir à la chanter. Vous êtes le premier écho que j’ai sur cette chanson. Vous faites des chansons pour être entendu et cela fait quoi, six ans que cette chanson est disponible et vous êtes le premier à m’en parler.

Bref, évidemment que dans Bruit Noir, il y a aussi des choses éminemment personnelles, encore plus personnelles que dans Mendelson peut-être différemment et peut-être que dans Mendelson, il y a des choses plus sarcastiques que ce qu’il y a dans Bruit Noir. Il y a toujours eu beaucoup d’humour et de sarcasme dans Mendelson et même dans les Haikus, il y a des chansons d’une noirceur terrible sur le monde et puis il y a des choses plus humoristiques. Être unidimensionnel, c’est une telle pauvreté et une telle tristesse. Tout le monde est tellement plus riche que l’impression qu’il laisse, les gens entretiennent une sorte de personnage qui les empêchent d’être différents et d’être plusieurs personnes à la fois. Je suis convaincu que les gens sont bien plus surprenants que ce qu’ils sont convaincus d’être. Bien sûr, je ne suis pas qu’un seul…

 

Ecrire un Requiem, ce n’est pas la première fois que vous le faites, vous aviez déjà imaginé votre propre épitaphe avec le premier Bruit Noir. Même si cela annonçait peut-être déjà la fin de Mendelson, il y avait encore pas mal d’humour, un humour cruel. Comment écrit-on un requiem pour un projet comme Mendelson qui a été votre voie d’expression pendant 25 ans ?

Pascal Bouaziz : Comment on le fait ? A vrai dire, je ne trouvais rien d’autre à écrire. Je sentais que l’aventure Mendelson n’était pas arrivée à son terme et en même temps, je sentais que depuis le numéro 5, le triple album, on avait mis la barre tellement haute (à mon sens) et que l’on avait été tellement un grand groupe à cette époque-là que continuer indéfiniment, cela ressemblerait à une grande chute jusqu’à la médiocrité ou une longue pente jusqu’à l’EHPAD. En même temps, je n’arrivais plus à écrire pour Mendelson et en même temps, je ne voulais pas que cela soit terminé comme ça. En même temps, il fallait s’aligner sur le 5 et la seule manière que nous avons trouvé c’est d’écrire ce dernier chapitre et de l’écrire clairement comme un chapitre final. Le Requiem de Bruit Noir était quand même beaucoup plus humoristique et en même temps dans toutes les blagues, il y a toujours un fond de vérité.

Vous savez, vous passez une grande partie du début de votre vie à réfléchir à comment devenir quelqu’un et l’autre partie de votre vie à savoir comment arrêter de devenir cette personne. (Rires)  Et puis penser à la mort m’est assez naturel. Il faut penser à comment commencer quelque chose, il me semble normal aussi de penser à comment le finir. Finir pour probablement se réinventer, se donner une autre vie. Je suis assez impatient d’à la fois les prochains concerts de Mendelson mais aussi de la vie après Mendelson tellement cela a été important pour moi. Je crois qu’après le dernier concert de Mendelson, je vais avoir comme un sentiment de soulagement, comme un manteau trop lourd, trop vieux et un matin vous vous levez en te disant « Ah, ce matin, je ne suis plus obligé de porter ce vieux manteau. Ah dis, donc je me sens vachement léger ». Peut-être que dès le dernier concert, je vais me rendre compte de la connerie que j’ai faite. Pourquoi avoir construit toutes ces années un truc et le suicider soi-même ? On verra…

Chaque disque de Mendelson et de Pascal Bouaziz auront été, chacun à leur manière, des disques essentiels, des évènements, des jalons, des incidents artistiques marquant un avant et un après. Le Dernier Album, œuvre testamentaire et visionnaire marque encore un point de repère. Après ce disque, il n’y aura plus jamais de disque de Mendelson, » de toute façon, il n’y aura plus personne pour écouter les disques, Fin de partie, fin de siècle. » On aimerait encore croire à un sarcasme de votre part mais il n’y aura plus d’avant ni d’après Mendelson mais seulement et c’est énorme un grand tableau noir cerné par les névroses, la douleur, le cynisme et tout l’humanisme de Bouaziz et des siens.

Disque évènement, disque grand et émouvant, disque monument. Je sais que nous sommes quelques-uns à penser qu’avec Mendelson, vous avez signé des disques qui seront des disques essentiels dans quelques années, des disques du niveau de Melody Nelson, du niveau de L’Imprudence, des disques qui seront des jalons, des sources d’influence et d’inspiration. Finalement, vous n’avez peut-être jamais écrit pour le temps présent mais pour la postérité en laquelle vous ne croyez plus. Qu’en pensez-vous ?

 Pascal Bouaziz : (Long silence). Jean-Michel Pires me dit toujours « L’histoire jugera ». Tout ce que vous venez de dire j’ai envie de dire « peut-être ». Peut-être que dans 20 ans, on écoutera toujours Mendelson, peut-être pas. Peut-être que l’on parlera de Mendelson, notre cinquième disque comme de Melody Nelson, peut-être pas. Je n’y crois pas beaucoup parce qu’encore une fois Serge Gainsbourg a connu un grand succès public, Bashung aussi. Mendelson n’a jamais eu de succès public. En tous les cas, si dans 20 ans, on a beaucoup de succès et que l’on vend beaucoup de disques, même si l’on sait que les disques n’existeront plus, s’il y a des rentrées d’argent, cela me fera un plaisir immense et cela me permettra de payer la maison de retraite, ça soulagera mes enfants et ce sera très bien.

Propos recueillis par Greg Bod

Le Dernier Album de Mendelson est sorti le 15 octobre 2021 chez l’excellent label Ici d’Ailleurs.
Retrouvez la première partie de notre entretien ici. Un grand merci à Jean-Philippe et Stéphane ainsi qu’à Pascal Bouaziz.