« Londres », de Louis-Ferdinand Céline : fuir les tranchées…

Ferdinand a quitté la France pour échapper à la guerre après sa convalescence, parti retrouver Angèle de l’autre côté de la Manche, à Londres. Dans ce nouveau récit inédit, Céline oppose une nouvelle fois le fracas des mots au fracas du monde en guerre.

LF Céline en 1932 © Meurisse – CC wikimedia

Dis-moi, Céline, les années ont passé… Et tu fais toujours autant parler. Oui je sais, associer la bluette d’Hugues Aufray à l’argot qui effraie du sieur Destouches, il y a de quoi la faire rougir, sa Céline. Mais, Non, non, non, ne rougis pas, non, ne rougis pas, même si certains passages pourraient rebuter un acteur porno confirmé.

londres-celinePour ceux qui ont lu Guerre il y a quelques mois ou quelques heures, et pour ceux qui ne l’ont pas encore effeuillé, le héros, Ferdinand, a quitté la France pour échapper à un retour dans les tranchées après sa convalescence mouvementée. Il est parti retrouver Angèle, qui se fait entretenir par le major Purcell.

Ferdinand va donc s’installer chez les Macs. Non, il n’est pas parti visiter l’Ecosse en kilt pour se rafraichir les roubignolles. Il arrive à Londres et rejoint la communauté de maquereaux français qui ont traversé la Manche en frétillant auprès de petites sirènes pour échapper à l’uniforme. Les déserteurs ont su se délocaliser.

Dans la première partie du roman, dont la longueur rime parfois avec langueur et dont la répétition de certaines séquences trahit l’architecture inaboutie du texte, Céline nous fait une visite guidée des quartiers mal fréquentés de la City. Pas une ligne sur le Palais de Buckingham et Westminster. Pour les visites culturelles, merci de choisir une autre agence de voyage. Pas de tamis sur la Tamise.

Cette flânerie dans les bas-fonds m’a laissé le temps de me réadapter à la langue de bistrot de l’auteur. J’ai toujours du mal à formater mon cerveau à sa prose et il m’a fallu quelques dizaines de pages pour retrouver son oralité, m’échauffer le mauvais esprit et me laisser adopter par le récit. Pour lire Céline, il faut de l’oreille et parfois du cérumen.

La galerie de portraits ne ressemble pas à un album Panini du Mondial climatisé ou à une photo de classe d’élèves trop bien peignés. Une belle brochette de marlous et de belles de nuit, qui se torgnolent, qui s’emboitent, qui se clandestinent, qui s’imbibent et se fauchéisent. Merci d’excuser ces errements grammaticaux mais Céline mérite bien qu’on invente quelques verbes pour l’hommager, comme il aurait pu l’écrire.

La seconde moitié du roman est beaucoup plus rythmée, une course de mauvais coups et la plume coupante de l’auteur fait merveille. Il va tellement vite que les noms des personnages changent au fil des pages, nouvelle preuve qu’il manque les finitions. Mais le gros œuvre est solide. Il laisse ici filtrer sa passion pour la médecine, son nihilisme, son allergie à la séduction et nous épargne ses idées nauséabondes.

Le personnage le plus aimable du roman est un médecin juif qui traficote un peu les certificats de décès mais rafistole les bras cassés. Au final, c’est très cru, saignant, parfois vulgaire mais c’est un style avant tout. Le fracas des mots pour décrire le fracas d’un monde en guerre. Fuir cette folie. C’est l’obsession des canailles de ce roman.

Je vous conseille la lecture du bien nommé appendice. Il décrit la passion de Céline pour Londres et les liens toujours étroits entre la fiction et sa propre vie. Reflet des eaux usées. Ébauche de la débauche.

Olivier de Bouty

Londres
Roman de Louis Ferdinand Céline
Editeur : Gallimard
528 pages – 24€
Date de parution : 13 octobre 2022

“Guerre” de Louis-Ferdinand Céline : la convalescence mouvementée du soldat Destouches