Arborist – An Endless Sequence Of Dead Zeros

Sorti fin avril dernier, An Endless Sequence Of Dead Zeros, nouvel évangile signé des Irlandais Arborist, est de ceux que l’on se désespère parfois d’écouter. Une folk pop d’une élégance éthérée  qui nous fait comprendre Matthieu : « Heureux les affamés car ils seront rassasiés ! »

Arborist
Arborist © Aaron Cunningham

Je ne m’en remets pas. Depuis ce jour béni du 24 avril, les poils de mes bras sont tout hérissés. C’est chiant, presque : impossible d’écouter ce disque sans avoir l’impression de traverser un champ d’électricité statique. Pourtant, cet Endless Sequence Of Dead Zeros, j’en connais déjà intimement chaque note, chaque respiration. Mais rien à faire, à chaque fois la même chose, je me laisse submerger par l’émotion. Il a pris racine profondément en moi. Il a investit ma peau.

An Endless Sequence of Dead ZerosIci, tout est pesé et mesuré avec un soin d’arpenteur. Les musiciens sonnent comme s’ils se connaissaient depuis toujours et semblent évoluer avec le souci de ne jamais trop en faire. La guitare carillonne avec retenue. Pour l’occasion, on a convoqué cordes, cuivres et choristes, et chacun vient effleurer ces compositions gracieuses pour les porter vers les sommets. L’album ne s’interdit pas des incursions dans la soul. De l’âme, le disque en regorge. Tout fonctionne parfaitement ensemble, tout se répond à merveille. Une mécanique céleste, une alchimie. Mark McCambridge y dépose sa voix complètement abandonnée à l’enchantement collectif. Et là encore, il n’appuie rien, laisse faire, chemine avec l’aisance du gars qui n’a rien à prouver. Parce que le vrai talent, c’est savoir faire le plus avec le moins. Honnête et sensible,  Arborist lève le voile sur les mystères de la physique quantique, la physique de l’infiniment petit, celle qui remet en cause le monde tel que nous le connaissons, nous obligeant à trouver un nouveau paradigme.

Le disque s’ouvre sur l’hybride Dreaming In Another Language et cette boucle hypnotique et ivre qui va considérablement modifier nos sens. Rapidement, on est gagné par le sentiment de franchir une porte sur une autre dimension dont les contours flottent et s’évanouissent. L’inverse du phénomène d’effondrement quantique en quelque sorte. La matière devient onde dans une sorte de décohérence inversée. S’ensuivent deux chefs-d’œuvre d’une puissance cosmique devant lesquels les calculs d’Einstein se révèlent bien relatifs. Matisse et Black Halo s’affranchissent de la matière. Les règles qui prévalaient avec la physique matérialiste n’y ont définitivement plus cours.

Le reste est à l’avenant. La délicatesse de O Margaret évoque la grâce de Nick Drake, One Morning Mid November le spleen de Mark Kozelek. The Weeping Rot a l’accent de Virginie. Unkind et ses paroles télescopées vous tire les larmes. Sur Dewdrop Cherryoak résonne de lointains échos d’Out Of The Weekend du grand Neil Young. Alabaster Skin, enfin, est une caresse, un souffle divin qui vous murmure quelques secrets sur la nature de la réalité, simples, précieux, insoupçonnables.

Mark McCambridge manie la langue des poètes désenchantés dont le cynisme n’occulte pas la foi en la beauté. Si elle vous pique, si elle vous cloue parfois, c’est pour mieux vous émouvoir. Son écriture convoque en effet des images et les associe de manière parfois presque indécente. C’est fort, d’une cruelle beauté, et témoigne au passage d’un amour certain pour les mots. Parce que hein ? Faut pas nous la faire : cette séquence sans fin de zéros morts ne fait qu’appeler un monde meilleur. On ne fait probablement pas un tel disque si l’on n’est pas capable de s’émouvoir sous une pluie de printemps, devant les eaux légendaires du lac Titicaca, devant la moindre rivière, anonyme au fond de son vallon, mais dévoilant ses charmes à celui qui prend les chemins de traverse… Il n’y a que pour les indécrottables matérialistes pour qui tout cela n’est finalement qu’H2O. Arborist ne conçoit définitivement pas les choses sous cet angle.

Arnaud Proudhon

Arborist – An Endless Sequence of Dead Zeros
Label : Arborist
Date de sortie : 21 avril 2023