[Interview] Howlin’ Jaws : « A trois, c’est isostatique ! »

Les astres semblent être en train de s’aligner pour Howlin’ Jaws, l’un de nos groupes les plus emballants quand il s’agit de perpétuer la meilleure tradition mélodique de la pop classique, sans pour autant renoncer à l’énergie du punk. Le trio parisien reviennent pour Benzine sur leur trajet musical, et surtout sur leur mode de fonctionnement…

Howlin' Jaws 15 ©Manon Violence
©Manon Violence

Benzine : Ce qu’on aime chez vous, depuis les premières fois où on vous a vus sur scène, c’est que vous ne vous inscrivez pas dans la mode actuelle du Post-Punk…

Lucas (guitare) : Bienvenue au club !

Benzine : Qu’est-ce qui vous a amenés à cette forme musicale là ?

Lucas : J’ai découvert le rock, le psyché, moi, à travers mon père, mais on s’est construits ensemble : on se connaît depuis le collège, et avec Djivan depuis la maternelle… On a monté un groupe quand on avait 13-14 ans…

Baptiste (batterie) : Au collège, Djivan s’habillait déjà avec des pantalons pattes d’éléphant… et moi j’étais punk ç fond : Doc Martens, jeans slims, t-shirts déchirés. On a commencé plutôt du côté punk, et on s’est rendus compte que dans les années 50, il y avait déjà des punks, des types comme Johnnie Burnett. ça nous a inspirés. Et puis, en rencontrant des gens, on a ouvert notre palette musicale. Là on a des influences de 54 à 79, avec des choses récentes aussi : on compose aujourd’hui sans se mettre de barrières, de genre, d’époque. Si on a envie de mettre des synthés, on le fait…

Djivan (chant, basse) : Il y a deux axes dans notre musique, depuis nos débuts, c’est l’énergie et les mélodies. On a toujours attirés soit par des trucs qui défoncent tout, soit par des choses, comme les Beatles et les Kinks, qui te restent dans la tête, qui te donnent envie de chanter. On essaie de jongler entre ces deux pôles…

Baptiste : C’était vraiment le but de ce nouvel album : avoir quelque chose qui te secoue sur scène, sans faire de compromis sur la qualité mélodique des morceaux…

Lucas : Sur scène, on a envie d’avoir cette énergie, on a incorporé la dimension mélodique en pensant déjà au live : en incluant des solos qui deviennent des missiles sur scène.

Baptiste : On a travaillé la section rythmique pour que les gens se disent, sur scène, ça doit vraiment être violent !

Benzine : Alors, qui est-ce qui compose dans le groupe ?

Tous les trois (en se désignant mutuellement du doigt) : Les Trois !!!

Lucas : En fait on compose de plein de manières. Soit l’un de nous arrive avec une idée, et on « passe ça à la moulinette » du groupe, soit on jamme ensemble… et ça peut partir de rien du tout…

Baptiste : ça peut partir d’un début de mélodie, d’un refrain, d’un début de paroles !

Djivan : On fait de la musique ensemble depuis si longtemps qu’on a une manière de bosser très synergique.

Baptiste : On n’a pas d’autres projets, on est à 100% sur Howlin’ Jaws, on fait tout de A à Z, la direction marketing, les pochettes, les clips… Evidemment, on a un tourneur, un manager, mais on a toujours un avis sur tout…

Djivan : On a commencé sur la débrouille, on faisait les clips tous seuls dès le début…

Lucas : En musique, on a chacun notre style, notre patte. Par exemple, Baptiste peut apporter une idée sur de la guitare, et ça nous donne une autre approche, ça donne de la diversité.

Djivan : Comme on n’est que trois, on a essayé de faire des chœurs assez tôt, pour enrichir les mélodies avec des harmonies vocales et élargir le spectre musical. Soit tu mets des bandes derrière comme 90% des groupes, soit tu remplis avec des chœurs…

Baptiste : Sur les chœurs, il y a quelque chose de très particulier qui se passe quand on chante ensemble, on se connaît tellement bien, il y a un lien qui se crée, ça représente notre relation…

Djivan : Quand tu fais des chœurs, tes oreilles ont une importance essentielle, plus que ce que tu joue avec tes mains. Tu dois écouter les autres, quand est-ce qu’ils respirent, tu as envie de faire bloc…

Lucas : … Bon, ceci dit, d’ici un an ou deux, on aura une section cuivres (rires) !

Djivan : Oui, on est ouverts, on a utilisé un musicien pour les claviers qui nous a apporté ses idées, on a enregistré des morceaux en superposant quatre ou cinq guitares… mais on essaie avant tout de faire des choses qui vont marcher à trois en live.

Baptiste : Je reviens sur le fait qu’il y a un équilibre différent quand on est trois, on est toujours obligés d’aller chercher l’un vers l’autre, ça donne une dynamique différente d’un quatuor, d’un duo…

Lucas : C’est isostatique !

 

Howlin' Jaws 6 ©Manon Violence
©Manon Violence

Benzine : Le power trio, c’est quand même une formule magique…

Tous les trois : Cream, Emerson Lake and Palmer, The Jimi Hendrix experience, Nirvana

Djivan : On signe toutes nos chansons à trois, on a envie d’évoluer à trois, sans créer ces dynamiques classiques de déséquilibre dans un groupe où l’un signe toutes les chansons…

Baptiste : Il n’y a aucun d’entre nous qui soit remplaçable. On peut même se poser la question sur ce qui pourrait se passer si on jouait avec d’autres personnes sur scène…

Benzine : Et pour les paroles, c’est pareil ?

Baptiste : Oui, mais même si, moi, je suis moins bon en anglais, donc je suis moins parolier…

Lucas : Mais sur l’album, il y a plusieurs chansons que tu as commencé, toi, donc du coup, il y avait une trame, un thème. Après c’est juste du bricolage…

Benzine : Il y a plus de tendances psyché dans Half Asleep Half Awake que dans Strange Effect, votre premier album…

Djivan : C’est quelque chose qu’on a toujours eu profondément en nous, mais qu’on n’avait pas mis dans le premier album, dont le but était d’être une lettre d’amour aux années 60. Ensuite, sur scène, on étendait beaucoup les chansons.

Baptiste : Il y avait quand même déjà sur le premier album un titre, Dust, qui était comme ça, plus étendu…

Djivan : On a aussi fait la musique d’une pièce de théâtre, Electre des Bas-Fonds, ce qui nous a amenés à puiser dans des choses différentes, on s’est permis de faire vivre des morceaux de manière différente de notre live.

Benzine : On n’a pas trop aimé par contre votre pochette, qu’est-ce qui vous a pris ?

Lucas : On en avait un peu marre de se prendre en photo devant une porte de garage, ce qui a déjà été fait quelques fois avant nous. Et comme dans l’album, il y a pas mal de choses qui parlent de rêve, de semi-conscience. Alors on s’est dit : le meilleur moyen de refléter ça sur la pochette, c’était de ne pas avoir le « total control » sur l’image. Avec l’IA, tu lui écrit des phrases et tu ne peux pas contrôler ce qui peut sortir. Là, on a demandé « un enfant mentaliste qui lit l’avenir dans un cône de glace » (rires), et l’IA a rajouté des éléments comme le chat qui est dans la boule. Et ça collait parfaitement avec le concept de l’album. C’est un peu comme pour un rêve : pour toi, c’est un cauchemar, pour nous c’est un joli rêve (rires).

Djivan : Au fur et à mesure qu’on enregistrait l’album avec Liam, ces thèmes du rêve se sont dégagés, en particulier dans la chanson Half Asleep Half Awake, autour duquel tout s’est articulé.

Baptiste : On n’a pas tapé « pochette groupe de rock », il y a eu beaucoup de travail de Lucas pour arriver à ça…

Benzine : C’était la deuxième fois que vous travailliez avec Liam Watson, à Londres, comment vous êtes-vous rencontrés ?

Lucas : C’était un peu comme un coup de foudre dans un film, une rencontre qui relève du destin. C’est un ami copain, Johnny, le batteur des Kaisers, qui a fait venir Liam à un de nos concerts à Londres en 2018. Il a bien aimé, et, en parallèle, on travaille avec Bellevue Music qui avait déjà envoyé des groupes enregistrer dans le studio de Liam. Bref, c’est devenu évident qu’on devait bosser ensemble.

Djivan : Liam est quelqu’un qui a une oreille superbe, qui a une culture musicale semblable à la nôtre. Tu vois ses photos de jeunesse, il a une crête…

Baptiste : Comme nous, quoi ! (rires)

Djivan : … et du coup, on a eu confiance en lui pour trancher sur des points qui n’étaient pas verrouillés. On a entamé l’album avec des choses qui n’étaient pas finies, on a voulu « terminer » l’album en studio avec lui.

Baptiste : ça nous a libérés pour la composition, on a ajouté de la matière sur les chansons, et on a mis le dernier coup de ciseau ou au contraire on a rajouté des choses en studio. Cette liberté de composition a donné quelque chose de plus honnête, de plus organique…

Lucas : On était dans le lâcher prise. Il y avait des solos que j’ai enregistrés comme ça, et on a gardé la première prise…

Djivan : Le studio est « full analogique », ce qui est quelque chose à quoi nous sommes attachés, pour avoir l’expérience d’enregistrer live, dans l’urgence, de ne pas pouvoir micro-corriger tout ce qu’on fait : ça donne une sorte d’honnêteté, de fougue qu’on ne retrouve pas beaucoup aujourd’hui. Et puis c’était très ludique avec Liam, on enregistrait un solo sur une bande, on la retournait, ça donnait de super beaux accidents, il y a une perte de contrôle qui est réjouissante.

Benzine : la prochaine étape, c’est quoi ?

Baptiste : On est en tournée maintenant, avec pas mal de dates déjà prévues pour 2024, et un nouvel album.

Djivan : On adorerait tourner en dehors de France, on a pas mal tourné en Europe avant le Covid… Alors retourner en Angleterre, en Espagne, mais aussi aux US, au Japon…

Baptiste : On a retrouvé le plaisir de tourner en France…

Lucas : On mange mieux (rires)…

Baptiste : On commence à faire de belles salles en France, et puis les gens sont très différents d’une région à l’autre…

Djivan : Bon, on se fait toujours embrouiller parce qu’on est parisiens ! (rires).

Lucas : On freine un peu sur la tournée aux Etats-Unis, parce qu’on sait que, dès qu’on va arriver là-bas, on va être des stars ! On voudrait continuer à vivre tranquillement… (rires).

Propos recueillis par Eric Debarnot le 19 octobre 2023

Half Asleep Half Awake, le nouvel album de Howlin’ Jaws est sorti le vendredi 29 septembre, et le groupe sera à la Maroquinerie (Paris) le mercredi 8 novembre.