« Guerre à Gaza », de Joe Sacco : diplomatie et raison dynamitées par la loi du talion

Sur un sujet explosif où depuis le 7 octobre 2023, l’émotion semble avoir aboli la raison, des voix (hors de la sphère politique) commencent à s’élever dont celle, tellement légitime, de Joe Sacco. Et ça fait du bien.

Guerre à Gaza – Joe Sacco
© 2024 Sacco / Futuropolis

Alors que le massacre des Palestiniens de Gaza se poursuit allégrement depuis bientôt un an, dans la quasi-indifférence de l’Occident, Joe Sacco, qui a à maintes reprises évoqué le conflit israélo-palestinien à travers son œuvre, nous délivre avec Guerre à Gaza un véritable coup de gueule. A lire de toute urgence.

Guerre à Gaza – Joe SaccoJusqu’où iront-ils ? L’attaque de l’armée israélienne contre la prison à ciel ouvert qu’est Gaza, attaque qui s’apparente de plus en plus à un génocide, prendra-t-elle fin un jour ? C’est la question que tout le monde se pose, au-delà des opinions… Alors que plus le temps passe, que plus les promesses de Netanyahou de ramener les derniers otages israéliens sains et saufs et de détruire le Hamas apparaissent comme une vaste escroquerie, les États-Unis et l’Europe font preuve d’un silence assourdissant et d’une quasi bienveillance à l’égard de la politique militaire de l’État juif. Lassé de se sentir impuissant, comme tous ceux que la situation révolte, Joe Sacco vient de publier cet ouvrage corrosif d’une trentaine de pages pour nous livrer sa vision des choses.

Le plus talentueux des bédéistes-reporters ayant souvent traité de la situation dans cette région du monde, avec notamment Palestine (publié en 1996 chez Rackam) et Gaza 1956 (publié en 2010 chez Futuropolis), il avait assurément la plus grande légitimité pour s’exprimer sur les massacres conduits par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou depuis les attentats du 7 octobre 2023. Ouvrage réalisé dans l’urgence, Guerre à Gaza est d’un format qui le rapproche d’un fascicule, mais où l’auteur dit exactement tout ce qui lui pèse sur le cœur concernant ce conflit, sans nul doute le plus grave depuis la création de l’Etat hébreu en 1956.

L’auteur semble avoir trempé sa plume et son pinceau dans l’acide pour exprimer une rage dopée par son impuissance face à la tragédie qui frappe Gaza et ses habitants, mais aussi sa révolte vis-à-vis de l’hypocrisie de son pays, les États-Unis (derrière lesquels s’abrite l’Europe, soit dit en passant), qui n’ont cessé d’envoyer de l’aide armée au gouvernement israélien depuis le début des bombardements, qui ont déjà fait plus de 30.000 victimes civiles. Au-delà du principal dirigeant concerné, Netanyahou, autant dire que Joe Biden en prend pour son grade. Son image de papy-gâteau (parfois plus gâteux que gâteau, il faut bien le dire) est violemment étrillée par Sacco, qui le montre sous un jour des plus cyniques en dénonçant les hypocrisies et la mauvaise foi de la Maison blanche, lorsque son porte-parole John Kirby annonce sans rire que les USA « pourraient aussi revendiquer le titre de principal bienfaiteur humanitaire ».

Le dessin de Joe Sacco accompagne avec véhémence cette dénonciation de ce qui apparaît de plus en plus comme un crime contre l’humanité. La violence de certains passages très réalistes — le plus souvent des images d’immeubles dévastés ou de ruines — est parallèlement transcendée par un onirisme féroce, qui n’en est pas moins une injonction adressée aux puissants de ce monde à réfléchir sur leur inaction, laquelle s’apparente dans le cas présent à de la complicité. On aimerait croire que le choc de ces images pourrait produire l’électrochoc escompté des cerveaux… Pour mieux décrire le malaise qui le ronge, l’auteur se met en scène au sortir d’un cauchemar paranoïaque, culpabilisant d’avoir contribué à financer par ses impôts une bombe décimant des enfants gazaouis, tout en constatant la politique sociale désastreuse dans son propre pays.

Ce qui semble également ulcérer Joe Sacco est que « dans le monde d’aujourd’hui, dire que l’on veut arrêter un génocide est considéré comme un discours de haine. Tandis que diffamer ceux qui veulent l’arrêter est un discours rémunéré. » Un postulat que l’on peut parfaitement vérifier dans la France de Macron, où la présidente de l’Assemblée elle-même n’hésite pas à afficher un pin’s du drapeau israélien, et où ceux qui émettent la moindre critique vis-à-vis de la politique d’Israël sont rapidement ostracisés, quand ils ne sont pas purement et simplement taxés d’extrémistes « islamo-gauchistes » voire antisémites par les canaux politico-médiatiques de droite. Pourtant, on se dit que ces ficelles langagières devraient finir par se voir tant elles ressemblent à des cordes grossières. En attendant, tant qu’il y aura des voix pour s’élever contre cette situation, on se dit que l’espoir reste permis.

A ce titre, Monsieur Sacco, comme les rares voix qui cherchent à se faire entendre — on peut évoquer Dominique de Villepin, tout récemment —, si l’on exclut ceux dont le discours est déjà habilement décrédibilisé, mérite toute la reconnaissance des citoyens du monde qui croient encore aux forces humanistes de progrès et du vivre ensemble. A l’inverse de nos hypocrites démocraties pour qui de lucratives politiques d’armements peuvent bien justifier des barbaries occasionnelles et localisées contre des « animaux humains ». Et parce qu’on ne peut parler ni de génocide ni de légitime défense, Sacco, de façon à la fois ironique et désabusée, propose cet oxymore approprié : « auto-défense génocidaire ». Afin peut-être d’alimenter la réflexion au sein de chaque camp, à défaut de les réconcilier…

Laurent Proudhon

Guerre à Gaza
Texte et dessin : Joe Sacco
Editeur : Futuropolis
32 pages – 6,90 €
Parution : 11 septembre 2024

Guerre à Gaza — Extrait

Guerre à Gaza – Joe Sacco
© 2024 Sacco / Futuropolis

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