« Mon vrai nom est Elisabeth » d’Adèle Yon : Betsy, la folie et le silence

Pour en finir avec le mythe effrayant de folie héréditaire qui parasite sa vie, Adèle Yon enquête sur son aïeule effacée de la mémoire familiale. À la croisée entre quête personnelle, récit familial et essai, ce livre hybride est brillant et poignant.

Adele Yon 2025
© Charlotte Krebs – Julliard

Dans la famille d’Adèle Yon, l’arrière-grand-mère Betsy tient une place à part : fantôme effrayant pour les plus jeunes qui ne l’ont pas connue, vieille grand‑mère schizophrène et fantasque pour la génération précédente qui l’a côtoyée.

mon vrai nom est ElisabethAdèle Yon a 24 ans, elle entame l’écriture d’une thèse sur le double féminin fantôme au cinéma. Mais dans sa vie, elle se heurte de plus en plus à Betsy, son arrière-grand-mère fantasmée, dont la trace de vie se résume à une seule photo d’identité et quelques lettres.

Comme pour toute légende familiale, la vérité sur cette femme s’est perdue au fil des ans. Surtout, la vérité s’est effacée et transformée au gré d’arrangements avec le réel pour se conformer aux préceptes du milieu bourgeois.

Consciente de vivre une relation amoureuse toxique, la jeune thésarde se questionne sur sa santé mentale. Et si elle devenait folle ? Si elle partageait les mêmes gènes que Betsy ?

Depuis son plus jeune âge, elle a entendu la génération parentale évoquer cette grand-mère, mais a surinterprété les anecdotes et y a emmagasiné ses peurs. Elle a aussi entendu les silences de sa grand-mère paternelle, fille aînée de Betsy, rétive à toute discussion sur cette mère absente de ses souvenirs d’enfance. Elle prend également conscience de la crainte partagée par les jeunes femmes de la famille : être comme Betsy, folles à enfermer.

Adèle Yon se lance alors dans une enquête familiale sur cette aïeule. Elle veut comprendre l’origine du mal et pourquoi elle suscite autant de non-dits. Peu à peu, elle s’attache à Betsy, qualifiée par certains membres de la famille comme une non-personne, un non-sujet. Sa quête devient réhabilitation, soulignée par le titre même du livre. Pourquoi son mari et son père ont-ils autorisé sa lobotomie ? Pourquoi est-elle restée enfermée de 1950 à 1967 dans un hôpital psychiatrique ?

Chercheuse de métier, l’autrice maîtrise à la perfection la méthode pour fouiller les archives, pour interroger et faire parler, pour collationner des faits. Le résultat est un texte puissant, qui alterne entre récit, interviews et présentation de faits historiques et médicaux.

La souffrance d’Elisabeth est enfin conscientisée : les hommes de la famille ont décidé de la mettre en marge. Elle a été dépossédée de sa personnalité pour effacer ce qui dérangeait, ce qui dépassait d’une vie bien rangée et docile. Au travers d’Elisabeth, Adèle Yon donne voix à toutes ces femmes, malades ou non, qui n’ont jamais donné leur consentement à des actes médicaux barbares. Elle met en exergue la violence des traitements médicaux et des conditions de vie en hôpital psychiatrique.

En plus de la richesse exceptionnelle que recèle ce récit sur la famille, les femmes et la maladie, sa forme est aussi à souligner. Les Éditions du sous-sol ont publié un livre original qui alterne les polices d’écriture pour marquer les séquences et qui donne l’impression de lire le matériau brut des travaux d’Adèle Yon.

Mon vrai nom est Elisabeth est un livre qui ne ressemble à aucun autre, une pépite.

Caroline Martin

Mon vrai nom est Elisabeth
Récit d’Adèle Yon
Editeur : Editions du sous-sol
400 pages, 22 euros
Date de parution : 6 février 2025

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