Lola Lafon tisse avec Il n’a jamais été trop tard une réflexion derrière des échos à l’actualité, sur notre capacité à chacun et chacune à remettre en question nos certitudes, nos représentations et nos comportements. L’autrice est d’ailleurs la première à questionner ses propres fonctionnements.

Tout commence avec ces mots : « Ces pages ne sont pas le lieu d’un territoire que j’imagine conquis, d’un terrain marqué de certitudes. Ce livre est une histoire en cours. L’histoire de ce qui nous traverse, une histoire qu’on conjuguerait à tous les singuliers. » Les mots de Lola Lafon qui sonnent toujours aussi juste. Rien n’est figé, à commencer par ses propres écrits et ce qui peut en ressortir.
Ces chroniques publiées initialement dans le journal Libération entre 2023 et 2024 et rassemblées dans ce recueil abordent donc de nombreux sujets en écho à l’actualité. L’autrice écrit en réaction, porte un regard par rapport à un fait, donne à voir une vision du monde. Elle peut partir d’un évènement et ce que lui évoque ce dernier, comme avec la mort du jeune Nahel en juin 2023 à la suite d’un tir policier ou lorsqu’elle parle du rapport à la vieillesse de nos contemporains et de la difficulté à se représenter notre vie qui s’apprête « à ralentir » sur bien des aspects. Lire Lola Lafon c’est retrouver un mot qui marque, une tournure qui décrira la situation avec le plus de justesse possible, sans surplomb, sans jugement et surtout en quelques lignes. On retrouve dans ces chroniques le pas de côté qui rend les écrits de l’autrice précieux je trouve (comme dans son roman Chavirer qui retranscrivait en questionnant les façons de le faire, l’emprise d’un homme sur une jeune fille). Un pas de côté important donc, face à une situation donnée et qui permet de mettre en perspective nos représentations, comme sur l’enfance par exemple avec ce très beau passage qui fait suite à une rencontre avec un enfant, lorsque l’autrice propose de l’aide aux devoirs pour une association : « Elle est triste, cette délicatesse des enfants : ils nous épargnent quand on échoue à les protéger. Ils le savent, leur enfance est une fiction dont ils sont les petits acteurs consciencieux. S’ils y jouent, à l’enfance, c’est pour nous. »
On retrouve un peu de nous-mêmes dans ces instantanés saisis par la romancière. Notre rapport aux réseaux sociaux : « Les réseaux sociaux sont une immense salle peuplée d’êtres qui spéculent sur leur propre valeur. À midi, l’humanisme domine, deux heures plus tard, cette valeur ne rapporte plus rien, alors on changera habilement de file sur l’autoroute numérique. » Notre rapport aux mots et à l’écriture aussi. Les mots peuvent avoir toute leur importance (ou aucune justement) et Lola Lafon tisse aussi très bien ce fil à plusieurs reprises dans le recueil. Ces questions autour de l’acte d’écrire et le sens qu’il peut revêtir selon les situations : « L’écriture ne sauve de rien, elle ne raccommode pas plus qu’elle ne répare, les mots ne retiennent pas de leçons, ils se proposent sans s’imposer, nous laissent libres, jusqu’à l’égarement. On s’y perd, dans l’écriture, mais pas comme dans un labyrinthe. On s’y oublie, détachée de soi, enfin. »
Il n’a jamais été trop tard est un texte humain, qui donne envie d’y revenir une fois terminé pour poursuivre les réflexions amorcées, pour poursuivre les questionnements autour de notre société qui ont émergé.
Sébastien Paley