Guillaume Stankiewicz – Sans cesse et sans bruit EP

Avec son second Ep à la mélancolie soyeuse, Guillaume Stankiewicz construit lentement les fondations d’une oeuvre aussi élégante que nonchalante.

Guillaume Stankiewicz photo 2016

C’est tellement rare et si précieux d’être là, de sentir cet instant T, où l’on sent l’apparition d’un grand artiste, l’émergence d’une œuvre majeure. Pour certains d’entre vous, la dernière fois où vous avez eu la chance de ressentir cette curieuse impression, c’était à la moitié des années 90. Cette décennie qui n’en finissait pas de faire le deuil des années 80 et qui peinait à trouver son identité propre, égarée entre une Brit Pop agréable mais pas essentielle, le Shoegazing comme une évidente continuité de l’héritage passé. Cette décennie là semblait prendre un peu les atours d’une période de transition, mais il  faut savoir se méfier des impressions.
L’air de rien, une musique dépouillée, minimale, bricolée, à l’os, que l’on n’appelait pas encore Lo-Fi, se répandait outre-Atlantique.
Et en France ? Rien de bien neuf sous le soleil ou si peu. Nos horizons étaient mancuniens ou londoniens mais pas de forme hexagonale sur nos cartes.

Guillaume Stankiewicz - Sans cesse et sans bruitSans doute, certains d’entre vous se rappellent de ce choc, un soir de semaine à la radio, l’émission de Bernard Lenoir… la voix fluette, fragile, pourtant pleine de morgue… Cette musique étrange, un certain Dominique A. On ne savait rien de ce jeune homme, de ce mec qui nous ressemblait beaucoup. Ce que l’on retient de cet instant c’est cette absolue certitude de rencontrer quelque chose de fort, de singulier, d’inédit. Ces artistes représentant d’une génération, des porte-paroles discrets bien loins des étendards factices.
Depuis, la musique de Dominique A a évolué, certains diront qu’elle s’est appauvrie, d’autres qu’elle s’est enrichie… Et si nous prenions le risque de l’indécision dans cette tentative de jugement.
Ni l’un ni l’autre. Elle a simplement changé de nature, entre épure et profondeur. En revanche, ce qui n’a pas changé chez l’auteur de  La Fossette, c’est cette curiosité pour le travail des autres.
Il y a bientôt un an, j’interviewais Dominique A à l’occasion de la première date de sa tournée pour Eleor. Toujours aussi adorable, le monsieur se prêtait gentiment à mes quelques questions. On connaît le caractère connaisseur du grand A, aussi quand je l’interroge sur ses coups de cœur récents, je m’attends à une longue liste d’artistes qui occuperont un bon moment mes soirées. Immédiatement, il me dit : « Je viens de découvrir le travail d’un certain Guillaume Stankiewicz et c’est vraiment très bien. »
J’ai eu beau cherché pendant plusieurs mois, je n’ai rien trouvé sur ce nouveau chanteur qui restait à mes oreilles un inconnu, un mystère, une annonce avortée d’enthousiasme.
Alors que je l’avais presqu’oublié, je vois enfin le nom de Guillaume Stankiewicz passer dans mon fil d’actualité sur les réseaux sociaux avec l’annonce d’un Ep à sortir.

On ne parlera pas ici d’enthousiasme mais plutôt de frénésie, pour ne pas dire de précipitation.Souvent, on ne s’explique pas ses pressentiments persistants, cette conviction que l’on va rencontrer quelqu’un qui comptera, que l’on va être happé par l’univers d’un musicien.
Ces débuts de pensées sont vite confirmés par l’écoute des six titres qui constituent Sans Cesse Et Sans Bruit.  Cette élégance singulière, cette voix haute perchée qui n’est pas sans rappeler le meilleur d’Arnaud Fleurent-Didier.
Du titre éponyme et inaugural, finalement pas si éloigné que ça d’un Bertrand Belin moins rêche peut-être celui de La Perdue à une Obscurité ni platement monochrome, ni naïvement lumineuse, la musique de Guillaume Stankiewicz  est dans le territoire de l’oxymore, de ce qui n’est pas trop appuyé. A mi-chemin entre les lignes de basse de Jean-Claude Vannier d’une certaine Melody et la chaleur d’un Harry Nilsson ou les rondeurs des Innocents, Le parisien ballade une mélancolie confortable comme un abri face au morose.
Guillaume Stankiewicz est un impressionniste, un paysagiste, de ceux qui suggèrent. De ceux qui disent tant sur nous, tellement plus en nous décrivant San Francesco Del Deserto, cette toute petite île  au large de Venise comme un visage aimé que l’on trace dans le ciel. Sa musique est fugace et volatile, on y reconnaît bien sûr quelques tropismes, une certaine Amérique mais aussi un petit quelque chose en plus. Sans doute cette nonchalance inquiète, ces arrangements confortables. Un peu comme si Katerine retrouvait la sobriété de traits plus légers.

Chez Guillaume Stankiewicz, il est question de rapport à son histoire, aux voix des pères. De cette délicatesse absolue et irradiante qui habite C’était vous familiers, géométrie merveilleuse de subtilité et consolatrice de bien des deuils. Tout est constitué d’un fragile équilibre dans ces six titres, d’un minuscule calcul de sincérité et de pudeur. Les mots sont beaux comme de la pierre taillée, la musique n’est pas seulement un faire-valoir un peu facile mais bel et bien une actrice ambigüe qui porte le tout ailleurs, vers une île tranquille. Quelque part, avec la sortie de cet Ep, on aura cette impression de boucle bouclée.

Il y a un peu plus de 20 ans, on rencontrait la musique d’un artiste rare, d’un moment précieux et constitutif d’autres moments. 20 ans plus tard, ce même monsieur, depuis devenu majuscule, sans le savoir, sans doute sans même le vouloir, prépare les éléments d’une nouvelle rencontre avec  une nouvelle proposition d’appréhender le monde, celle de Guillaume Stankiewicz.  Que ceux qui pensent qu’en France, rien de neuf n’apparaît, qu’ils aillent démentir leurs convictions à l’écoute d’Eryk.E, de Michel Cloup ou des paysages diaphanes de Guillaume Stankiewicz.

Greg Bod

Guillaume Stankiewicz – Sans cesse et sans bruit EP
Label : Microcultures
Sortie : 08 avril 2016