Les Derniers jours du monde

affiche_9.jpgA l’issue de la projection des Derniers jours du monde, l’impression dominante, au-dessus des multiples et contradictoires sentiments qui nous envahissent, est bien celle de l’ambition qui caractérise l’ensemble du projet – élaboration et conception – que constitue le quatrième long-métrage de Jean-Marie et Arnaud Larrieu, dont l’opus précédent, Le Voyage aux Pyrénées, nous avait plus déroutés et égarés que réellement séduits. L’ambition que nous évoquons ici est à  prendre au premier sens et débarrassé des idées de prétention et de forfanterie démonstrative auxquelles elle est souvent associée. Si nous verrons en quoi les frères Larrieu n’ont certes pas toujours les moyens de leur ambition, nous devons d’emblée évacuer l’accusation facile et infondée d’arrogance ou de vanité.

Adapté du roman éponyme de Dominique Noguez paru en 1991, Les Derniers jours du monde opère un mixage inattendu entre film-catastrophe, mais approprié et revisité à  la sauce Larrieu, et film à  portée philosophique ou métaphysique. Alors que le monde est en proie à  une succession de désastres annonciateurs de sa fin prochaine, Robinson – prénom ô combien emblématique – repasse les événements majeurs qui ont marqué l’année écoulée. Séparé de sa femme Chloé depuis sa rencontre passionnelle avec Laetitia, Robinson en ce mois de juillet d’une année indéterminée reprend la maison de ses parents, inhabitée depuis leur disparition accidentelle en mer. Il décide néanmoins de partir vers l’Espagne aussi bien pour fuir le cataclysme qui se prépare que pour se réconcilier avec lui-même et trouver un sens à  sa vie. Un voyage accompli en scooter, à  pied, en voiture et en train qui finit par le ramener à  Toulouse, avant de s’échapper vers le Lot. Entretemps, il rencontre Ombeline, libraire à  Biarritz, qui fut aussi la maîtresse de son père et croise de temps à  autre Théo, un vieil ami, devenu ténor.

La légende prétend que l’on revit en quelques secondes toute sa vie avant de mourir. C’est sur ce postulat jamais démontré, et pour cause, que repose donc la genèse des Derniers jours du monde. Très vite, on saisit que l’apocalypse qui se profile, dont les origines restent floues et les manifestions disparates, est avant tout métaphorique, servant de révélateur et de déclencheur. Cependant, les Larrieu, à  la tête de moyens humains impressionnants, choisissent de la traiter de manière détournée. Pas d’effets spéciaux démesurés ni d’illustrations détaillées de ce que les télévisions et les journaux annoncent. Un embouteillage grand-guignolesque sur les routes pyrénéennes, des pluies de déchets suspects, des éboulis de pierres, des corps décomposés étendus dans les villes suffisent à  installer l’ambiance apocalyptique. Les réalisateurs de Peindre ou faire l’amour s’attachent davantage à  montrer les effets des bouleversements en cours, : pagaille générale, désordre, impuissance des pouvoirs.

Les Derniers jours du monde intercale de plus en plus le désordre planétaire avec celui qui agite la vie amoureuse de Robinson. Les péripéties de cet ancien prof de géographie converti en écrivain pusillanime ont de telles conséquences qu’il y a laissé sa main droite lors d’une escapade canadienne qui tourna mal en compagnie de l’androgyne Laetitia. Le film forge une narration éclatée au gré des remémorations de Robinson et nous emmène notamment du côté de Taîwan. Après une mise en place subtile, incontestablement la partie la plus faible du film est celle correspondant à  l’échappée ibérique qui coîncide elle-même avec l’irruption d’Ombeline dans la vie de Robinson. C’est Catherine Frot qui interprète l’énergique libraire abandonnée par son mari et on a rarement vu l’actrice jouer aussi faux. En passant, nous adresserons le même reproche à  Sergi López qui campe un chanteur d’opéra outrancier, peu crédible ni très intéressant. Le retour à  Toulouse et l’accélération des événements tragiques qui encerclent Robinson oriente le film vers plus de poésie et de fantaisie, renouant ainsi avec l’univers hédoniste et libertaire auquel les frères Larrieu nous ont familiarisés depuis quelques années.

Le film opère une boucle complète en quelque sorte puisqu’il transfigure Robinson et Laetitia, retrouvée à  Paris, en nouveaux Adam et Eve. Ceux-ci dévêtus courent à  travers les rues de la capitale, emplis de leur désir comblé et de leur amour épanoui, et paraissent remonter aux origines primitives du monde. Les Derniers jours du monde se veut donc une ambitieuse parabole sur la force du désir et de l’espoir, seuls antidotes envisageables pour survivre au pire, c’est-à -dire à  l’extinction de la planète. Pour le percevoir, Robinson aura parcouru de longues distances et perdu les êtres qui lui étaient le plus cher. Il est vrai que nous nous perdons parfois dans cet éclatement narratif et que certains chemins de traverse empruntés semblent être des voies sans issue. Les personnages féminins – Chloé l’ex-épouse représentant les conventions, Ombeline le passé et la famille et la fantasque Laetitia le goût de l’interdit et du fruit défendu – restent stéréotypés tout en étant abordés de manière superficielle. Ce qui est l’exact contraire pour le personnage de Robinson, habité magistralement par Mathieu Amalric, acteur caméléon au jeu de plus en plus physique, bien loin de la cérébralité attendue. Personnage complexe, mû et sauvé par son désir, nous le suivons de plus en plus happés par son énergie salvatrice, donc sa soif de (sur)vivre. La dernière demi-heure des Derniers jours du monde est féérique, principalement lors de l’étape au château dans le Lot, moment anthologique où planent les fantômes de Cocteau et Demy.

Malgré quelques longueurs et des moments de flottement – comme si les Larrieu se trouvaient prisonniers et décontenancés face aux moyens dont ils disposent – Les Derniers jours du monde vous arrache de votre siège et vous emporte dans un tourbillon de sensations et de rebondissements. Ne dit-on pas aussi qu’un seul être vous manque et la terre est dépeuplée, ? Voici une jubilatoire et foisonnante démonstration de cet adage, à  mille lieues des réalisations sans envergure, sans surprise que nous offre trop souvent le cinéma national. L’ampleur de l’odyssée comme patchwork bigarré et foutraque mérite bien quelque indulgence pour les défauts du film, dont on ne retient, le temps passant, que l’universalité du propos et l’étrangeté de son déploiement.

Patrick Braganti

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Les Derniers jours du monde
Film français de Jean-Marie et Arnaud Larrieu
Genre : Comédie dramatique
Durée : 2h10
Sortie : 19 Août 2009
Avec Mathieu Amalric, Catherine Frot, Karin Viard, Sergi Lopez,…

La bande-annonce :

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