La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq

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Il est temps de revenir sur le dernier livre de Michel l’Elu, puisque c’est tout auréolé du prix Goncourt que ce dernier revient truster médias et sommets de ventes. Succès et estime plutôt injustifiés, vu la teneur de son roman.

Je pense que l’Académie des Goncourt a voulu remettre un prix d’honneur à  Houellebecq pour l’ensemble de sa jeune oeuvre, comme on remettrait un César d’honneur à  un vieil acteur toujours oublié des récompenses qui vient de faire un come-back inespéré dans un film assez nul. Mais l’occasion fait le larron. C’est pareil dans la situation qui nous occupe : »bon là  il faut lui donner on peut pas louper à  nouveau le coche.. ». Soit, sauf que là , ce n’est point mérité.

La Carte et le territoire est en quelque sorte le méridien de Greenwich de l’univers houellebecquien : au centre de tous ses intérêts, de toutes ses préoccupations, et à  la fois d’une neutralité qui confine au zéro. L’écriture plate, encyclopédique habituellement associée à  un cynisme désabusé dans ses précédents romans, trouve ici sa grande limite, en mettant une horizontalité affligeante à  toutes les péripéties du héros, et en usant et abusant de paragraphes »wikipédiesques » qui pourraient être un effet de style pertinent mais qui donnent juste l’impression au lecteur d’être pris pour un con inculte.

Mais revenons au sujet, d’une platitude également confondante : soit Jed, artiste incompris puis adulé, qui oscille entre plusieurs amours, plusieurs contradictions (sa relation avec son père est a priori compliquée – sauf qu’elle ressemble à  toutes les relations père-enfant qu’on peut lire ici ou ailleurs… -) et divers événements particuliers (rencontres étonnantes avec Beigbeder ou Houellebecq – wouah, la mise en abîme, quelle originalité…) qui vont le conduire à  une destinée qui aurait pu devenir extraordinaire… Le sujet est un peu la somme de tout ce qu’a pu écrire l’auteur jusqu’ici, mais raboté jusqu’à  sa »substantifique moelle » pour n’être finalement qu’un amas sans relief d’avis sur tout et n’importe quoi – grosso modo, la société d’information, les médias, le retour à  la terre, l’aliénation par le travail, l’amour et la mort, bla bla, j’en passe et des meilleures.

Agrémenté de fausses bonnes idées (la réhabilitation de Julien Lepers, le coming-out de Jean-Pierre Pernault, une intrigue policière arrivant comme un cheveu dans la soupe et totalement inintéressante), le livre donne souvent l’impression que Houellebecq ne fait que singer ce qui a fait sa marque de fabrique : une distanciation dans la narration pour se faire acerbe et quelque peu misanthrope, ainsi qu’une réelle critique de la société de consommation et l’individualisme qui en découle. Tous ces thèmes sont ici édulcorés, traités superficiellement, sans conviction. Et du coup, on s’emmerde ferme.

Ceci posé, les trente dernières pages – seulement…- évitent à  cette Carte et territoire (beau titre, mais absolument pas traité, car la spatialité et les repères, les frontières et les étendues auraient pu être des sujets passionnants, mais restent soigneusement évités…) la sentence finale de »roman complètement raté ». Car sur cet ultime partie, Houellebecq s’évade un temps de son terre-à -terre inconséquent pour imaginer une fin déroutante, entre fable écologique et science-fiction apaisante, où l’humain ne serait plus l’unique acteur de l’évolution du monde. C’est suffisamment onirique et fantasque pour être apprécié, et se rendre compte de ce qu’aurait pu être ce roman, si l’auteur n’avait pas cherché à  rester désespérément le Houellebecq attendu afin d’asseoir une bonne fois pour toutes son statut auprès de ses pairs et de la sphère médiatique. Passons.

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Jean-François Lahorgue

La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq
Flammarion, 428 pages, 20 €¬ environ.
Date de parution : août 2010.